Témoignage de Marie-Noëlle Salvat (3)

Rédigé par yalla castel - - 8 commentaires

Joseph a aussi le sens de l'humour. Il aime rire et me faire rire. Deux mondes se sont ouverts et se sont offerts l'un à l'autre.

1. le sien qui a évolué depuis nos premières lettres. Sa mère Lina vient le voir. Le consulat de France que j'ai relancé n'a pas laissé le dossier au placard. Il a la double nationalité. Sa mère est guadeloupéenne. De nouveaux avocats, compétents, dévoués, après qu'il ait fait appel, ont perçu toutes les lacunes et les invraisemblances du procès. Il m'avait écrit: "Le jury a été manipulé de façon à me faire passer pour un monstre." Et tant d'autres éléments encore qui améliorent sa vie et lui permettent de supporter l'horreur de sa condition. Dernièrement sévices graves sur son co-détenu voisin de cellule. Il en a perdu la tête. Joseph a été pris en charge par un médecin pour s'en remettre.

2. le mien car je l'associe à ma vie. Il partage mes occupations et préoccupations, familiales et universelles à travers les actions du CCFD Terre Solidaire et de l'ACAT auxquelles je participe bénévolement, à travers le récit des évènements vécus par mes proches.

C'est fou de voir comment Joseph se préoccupe des personnes dont je lui parle. Il montre beaucoup d'empathie. Il prie. Il me charge de transmettre ses messages aimants.

Je corresponds depuis quelques mois avec Lina, sa maman. Elle est très profondémenet chrétienne. Elle m'a écrit que sans la foi et l'amour de Dieu elle se serait écroulée. Elle m'appelle "ma soeur en Christ". C'est une humble femme extraordinairement effacée et courageuse. Elle a élevé 6 garçons. Elle a des petits enfants.

Oui ma famille s'est élargie. Certains de mes proches et des membres de ma famille, sans lui écrire car ils ne maîtrisent pas assez l'Anglais, ont adopté Joseph comme un des leurs. Il le sait et il le leur rend bien.

Je nous confie à vos prières.

Marie Noëlle

Mes références:

Saint Vincent de Paul: "Les pauvres sont nos maîtres."

Notre pape François: "Pourquoi eux et pas moi?"  Déclaration faite aux journalistes après sa visite à des prisonniers à qui il a lavé les pieds. L'une de ses premières initiatives après son entrée en fonction.

Saint Exupéry, dans le livre Le petit Prince: "Tu es responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé."

Témoignage de Marie-Noëlle Salvat (2)

Rédigé par yalla castel - - Aucun commentaire

Il nous faut beaucoup de patience, à l'un et à l'autre, ne pas avoir peur des chocs provoqués par les demandes ou par les silences d'un homme qui traverse l'obscurité.

Très vite, dans nos premiers échanges, Joseph m'avait dit: "Je suis un homme maintenant; celui que j'étais je ne savais plus qui j'étais." Plus tard: "Vous pouvez me demander n'importe quoi sur moi et je vous répondrai." Je lui ai dit: "Si vous le voulez, racontez-moi un moment que vous aimez de votre enfance." Il m'a répondu: "Je ne peux pas vous parler de mon enfance mais vous pouvez garder ces photos (c'était sur du papier photo très ancien) si elles vous plaisent, ou me les renvoyer." Il a noté au dos: "Ma mère, très courageuse, voyez comme elle est belle avec son tablier de serveuse pour gagner sa vie et celle de sa famille. Là, c'est mon frère aîné qui l'a aidée quand mon père l'a laissée." Autre photo: "Là, c'est mon jeune frère et le vilain petit canard -moi- à la fête foraine." (A dix ou douze ans) "Et là c'est encore le vilain petit canard avec ma petite et mignonne nièce ( trois ans) sur les genoux." (Il est ado)

Cette patience qui conduit à une confiance inconditionnelle nous l'avons ou plutôt nous la cultivons au rythme parfois irréguliers de nos courriers, très denses, fluctuant à cause des évènement de part et d'autre, variant de quinze jours à un mois maximum.

Au fil des mois, nous échangeons ce qu'il est possible d'écrire de nos vies, de notre regard sur l'état du monde; ma vie ordinaire avec ses failles et ses joies, sa vie dans des conditions inhumaines. Isolement dans une cellule très étroite où il réussissait pour ne pas devenir fou à organiser ses journées. Sorties toutes les 48h pour deux heures de "promenades" dans une grande cage à ciel ouvert avec les autres prisonniers. Parfois longues semaines de "lock down" . Enfermement total pendant des périodes variables, un mois quelquefois, totalement arbitraire. Privation d'eau chaude. Et j'en passe! Bruit parfois insupportable d'autres prisonniers qui perdent la tête. Rumeurs d'exécution. Obligation de jeter le courrier reçu. Par peur du feu. Il ne peut conserver qu'un minimum de lettres, photos, cartes postales.

Il m'avait écrit dès le début: "Soyez mes yeux et mes oreilles." Ce que je me suis efforcée de faire. Il insistait aussi sur la réciprocité de la correspondance. Et nous étions bien d'accord. C'est ainsi que nous avons poursuivi nos échanges écrits.

Témoignage de Marie-Noëlle Salvat (1)

Rédigé par yalla castel - - 68 commentaires

Je n'ai pas pu assister au Conseil Paroissial où mes amies du groupe ACAT (1) m'avaient demandé d'apporter un témoignage. Le voici par écrit, trop long mais totalement insuffisant. Il concerne ma correspondance avec Joseph-François Jean, prisonnier dans le couloir de la mort (2) au Texas.

Période de l'Avent 2015, au fond de l'Eglise de Casteljaloux, une petite affiche rouge de l'ACAT: "Voulez-vous correspondre avec un prisonnier du "Couloir de la mort" aux Etats-Unis?"

J'emportai le papier. Je fis ma demande le jour même. C'était le début d'un chemin d'ombre et de lumière. La lumière de Noël dominant tout pour construire une relation humaine et spirituelle. L'Esprit Saint nous devance toujours comme dit Guy Gilbert. Notre rencontre a été marquée de signes étonnants. Je ne les dirai pas ici. Cela prendrait trop de place. Mais je suis prête à en témoigner si quelqu'un s'intéresse à ces petits cailloux blancs qui indiquent le chemin.

Joseph, 44 ans, dans le couloir de la mort depuis quatre ans, était à ce moment-là seul, démuni, abandonné de tous, projeté en enfer. Il reçoit ma lettre la veille de Noël. Il est vivement impressionné de la recevoir. Suite à sa demande à l'ACAT, beaucoup plus vite qu'il ne l'espérait. Il associe l'arrivée de ce courrier la veille de Noël à mon prénom. Il ne me dit pas encore qu'il prie. Il me le dira des mois plus tard. Ce qui l'impressionne, ce n'est pas ma carte mais ma photo qui tombe de l'enveloppepar terre, et qui lui sourit. "C'est mon cadeau de Noël?" m'interrogera-t-il dans sa réponse à mon envoi.

La correspondance qui s'en suivra naîtra de cet émerveillement et du cri à la fin de sa première lettre: "Je ne veux pas mourir tout seul!" En même temps elle se nourrit de la Croix qui est plantée dans mon coeur, de la présence de Jésus, de ma foi en la résurrection; dès maintenant, quand les âmes se rencontrent et veulent s'ouvrir à la lumière.

A suivre...

Des écureuils et de l'au-delà

Rédigé par yalla castel - - 40 commentaires

Dans son livre « Promesses de l’aube », Romain Gary affirme que l’échec du communisme découle de l’échec du christianisme à faire une société fraternelle. J’ai envie aujourd’hui d’écrire que l’échec du catholicisme découle de l’échec du communisme à faire une société fraternelle. Bien que cela ne soit pas comparable et de même nature je crois que les affaires de pédophilies sont une tâche sur le catholicisme comme le sont les crimes commis au nom du communisme. Dans l’opinion publique le résultat est catastrophique.

 

Divorcé, remarié,re-divorcé, vivant aujourd’hui en couple hors du mariage, je ne communie pas même quand je suis à 600 kms de chez moi dans une église où personne de me connaît. Je ne demande rien à l’église catholique et à ses prélats, je n’exige rien. Je ne juge pas. Je ne condamne pas. Je n’ai pas de solutions à proposer pour que tout aille mieux.

 

Je suis un pur produit de l’école laïque et républicaine. Et je peux affirmer à ce titre que l’église catholique n’a pas le monopole des tordus en tous genres. Je ne veux me souvenir aujourd'hui que des personnes qui ont marqué mon enfance, mon adolescence, ma vie adulte. J’ai rencontré et j’ai été accompagné par des personnes vraiment bien ; cathos ou pas, cocos ou pas.

 

Pourquoi je suis toujours et malgré tout ce qui passe, toujours et depuis toujours, en contact avec des cathos ? Peut-être à cause de l’histoire suivante :

 

A la fin des années cinquante, j'ai été l'élève de CP de ma mère, institutrice en classe unique à Lussolle, Landes. Je me souviens d'un automne où un grand de la classe de certificat d'étude nous a emmené un matin un couple de bébés écureuils. Ma mère les a adoptés tout de suite. Ils passaient la journée d'école avec nous; se déplaçant d'un bureau à l'autre, d'un élève à l'autre. Ils trottaient sur nos tables de travail, reniflaient nos encriers. Et quand ils en éprouvaient le besoin, ils dormaient dans nos casiers ou dans nos cartables. Nous ne faisions pas de bruit pour ne pas les effrayer, pas de gestes brusques non plus. Pas d'agitation intempestive. Au lieu de perturber la classe, ils la pacifiaient. Au lieu de rêvasser et de laisser vagabonder notre imagination, nous les regardions, nous les observions. Pendant plusieurs semaines, ils ont enchanté nos journées « studieuses ».

Le soir, ma mère les ramenait à la maison. Il n'y avait pas la télé chez nous et pas de chauffage central. Juste une très grande cheminée. Je me couchais plus tôt que les enfants d'aujourd'hui. Avant d'aller au lit, je mettais les deux écureuils dans une boîte à chaussures remplie de vieux chiffons. Je la fermais en mettant le couvercle dessus et je déposais le tout dans un coin de la cheminée, à l'écart du feu qui, dans la nuit, s'éteignait. Mes écureuils passaient la nuit au chaud.

Il en a été ainsi pendant plusieurs semaines. Je me suis attaché à eux comme les enfants savent s'attacher aux animaux domestiques. Mais les écureuils ne sont pas des animaux domestiques. Un matin, au moment de partir pour l'école, plus d'écureuils dans la boîte à chaussures. Ma mère m'a dit, pour calmer mes pleurs, qu'ils avaient grandi et qu'ils s'étaient échappés pour vivre en forêt leur vraie vie d'écureuils. A l'époque, j'ai accepté cette explication qui m'a apaisé.

Mais des années plus tard, je me suis demandé si, en fait, notre chat ne les avait pas tués et si ma mère ne m'avait pas protégé de cette cruauté de la vie animale en me racontant une belle histoire à dormir debout.

Les années ont passé, j'ai oublié cette période de mon enfance, puis ma mère est décédée brutalement. Je m'étais préparé à sa mort, car je la voyais décliner doucement, mais je n'avais pas imaginé que cela irait si vite. Nous habitons aujourd'hui dans une maison entourée d'arbres, d'arbustes, de haies non taillées, c'est une véritable petite forêt vierge aux portes d'une petite ville d'Aquitaine. Le lendemain de la mort de ma mère, mon plus jeune fils a trouvé un bébé écureuil tombé du nid au pied d'un de nos arbres. Il était entre la vie et la mort. Il l'a emmené dans sa chambre. Je lui ai raconté ma mère, Lussolle, la boîte à chaussures. Il lui a donné à boire, à manger et j'ai pensé l'écureuil sauvé. Il gambadait allégrement partout. A notre retour des obsèques de ma mère, nous l'avons trouvé mort.

Je me suis alors senti à nouveau très mal. C'était comme une deuxième mort de ma mère. Elle me disait définitivement à Dieu.

Le temps a continué de passer. Un couple d'écureuils vit en permanence chez nous depuis plusieurs années maintenant. Tous les ans, ils ont des petits. Plusieurs fois par mois, je les vois sauter de branches en branches, s'approcher de la maison, de ses noyers, de ses noisetiers. Ils viennent visiter les mangeoires à oiseaux proches des baies vitrées.

Je les regarde, je pense à ma mère, à la vie qui coule de plus en plus vite comme le sable du sablier dont je voudrais pouvoir retenir les grains dans ma main. Le temps s'enfuit inexorablement. Les images du passé s'estompent de ma mémoire. Ainsi que le chagrin de la perte des êtres chers.

 

(Mercredi 29 août, en début de matinée, ma fille cadette a donné vie à ma quatrième petite fille. En début d'après-midi mon père a cessé définitivement de respirer pour toujours. Je n'ai pas beaucoup dormi le soir. Je me suis levé Jeudi matin avec le jour. Je me suis mis à écrire sur mon ordi installé devant une baie vitrée de notre maison. Et soudain un bébé écureuil est descendu des arbres qui touchent la maison. Il est  venu à la baie vitrée et il m'a regardé d'un oeil stupide, c'est joli un écureuil mais pas très malin. Il ne se souvient jamais où il a caché ses provisions d'hiver. Il est tout le temps en train d'en faire partout. C'est ainsi que pousse autour de la maison des noyers, des noisetiers, des châtaigniers que je n'ai jamais plantés. Bien entendu bien que ça soit complètement irrationnel je n'ai pas pu m'empêcher de penser que ma mère venait m'apporter son soutien et j'ai pleuré en silence pendant un long moment et puis après je me suis senti en paix.)

 

Ainsi soit-il.

 

Colibri Cx

 

 

 

 

Fil RSS des articles de cette catégorie