Quand le deuil est difficile à faire

Rédigé par sadys - - Aucun commentaire

"La certitude que je ne pouvais pas me tuer puisque j'étais déjà morte s'est installée par degrés, en même temps que la sensation inexprimable d'être entièrement réfugiée dans une tête gigantesque contenant toutes les vies des vivants et des morts. Par décence, il ne m'était jamais venu à l'idée d'appeler qui que ce soit au secours. J'avais trop honte. On n'embarasse pas les autres avec son chagrin.Chaque fois que d'anciens amis ou ma mère m'envoyaient un message pour savoir tout de même comment j'allais, je répondais simplement, toujours par écrit, "Tout va très bien". On jugera peut-être tout cela insensé. Pourtant, nos vies sont semées de ces moments où, affligés par un malheur que l'on ne peut souhaiter à personne, on arrive à le cacher à tout le monde: les enfants violés ou battus le savent mieux que quiconque.

Nos chagrins ne varient pas avec les siècles. Ils se mesurent ni à l'aune de nos mérites ni à celle de nos possessions. Un deuil reste un deuil. Un cadavre, un cadavre. Une tombe, une tombe. Mais si certaines personnes apprennent à vivre douloureusement avec la perte, d'autres se laissent mourir avec leurs morts. S'il est possible de faire comprendre aux personnes bien portantes ce qu'est une douleur physique, par exemple la douleur que l'on peut ressentir quand on a atrocement mal au ventre, il leur est plus difficile de se représenter ce qu'est l'autoaccusation mélancolique consécutive à un deuil. Dès que vos sortez de l'inconscience du sommeil, ce que fut votre existence s'étale devant vous comme une flaque de goudron, poisseuse, puante. Tout ce que vous avez fait. Tout ce que vous auriez dû faire. Tout ce que vous auriez pu dire à la personne disparue. Tout ce que vous pourriez accomplir demain. Tout se recouvre d'une glu noire qui comprime la poitrine, naphte qui brûle l'âme d'un feu lourd, dévaste vos boyaux, et fait défiler à toute heure du jour et le la nuit en arrière de vos yeux toutes les fautes que vous avez commises sans le savoir, mais peu importe, car elles collent toutes les unes aux autres en un écoulement affreux.

On sait ce qu'est la dévalorisation. Plus perçante est la haine de soi. Elle méduse. On se regarde comme les autres vous regardent, comme un être qui aurait tout pour être libre et heureux, et qui rencontre de cette haine féroce de soi, dans laquelle toutes vos pensée se réfugient pour vous faire mourir de l'intérieur. Mais ce qui tue, ça n'est pas seulement la douleur morale. Ce qui tue, c'est aussi la condescendance et le mépris de ceux qui pensent que la douleur d'un deuil qui se prolonge relève d'une paresse de la volonté ou d'une faiblesse complaisante.

Sarah Chiche, "Saturne", pages 151/152, aux éditions du Seuil, 2020

 

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Renaud Jean

Rédigé par yalla castel - - Aucun commentaire

Convalescence de Renaud Jean en 1915

Né le 16 août 1887 à Samazan, mort le 31 mai 1961 à Samazan ; paysan pendant dix ans, enseignant pendant trois ans puis élu et permanent ; militant socialiste puis communiste du Lot-et-Garonne ; membre du comité directeur puis du comité central du PCF ; membre du bureau politique en 1926 ; directeur de La Voix paysanne ; président de la Confédération générale des paysans travailleurs; député, conseiller général, maire de Samazan.Tel est le bref résumé de sa vie. 

Mais entrons un peu plus dans le détail de qui était Renaud Jean.

Acteur de premier plan du mouvement communiste entre-les-deux-guerres, orateur de talent, le député des paysans du Lot-et-Garonne eut son heure de notoriété dans les années trente, particulièrement entre 1936 et 1939 alors qu’il présidait la commission de l’Agriculture de la Chambre. Mais celui que tout destinait aux plus hautes fonctions fut remis à la base à la Libération et oublié. Au-delà de ses désaccords avec le « tournant » de septembre-octobre 1939 ou de son inaction dans les années qui suivirent, on peut se demander si son indépendance d’esprit, sa volonté de défendre une position politique personnelle et de ne rien cacher de ses analyses au sein du Parti communiste ni de ses divergences, ne furent pas à l’origine de cet effacement.

Fils unique de Jean Jean et Anne Castaing, métayers devenus petits propriétaires à Samazan (lieu dit Latapie), Jean Jean, comme son père et son grand-père, mais prénommé habituellement Renaud (avec la célébrité son prénom d’emprunt sera associé à son nom pour devenir parfois Renaud-Jean), après des études primaires qui auraient révélé son aisance intellectuelle, travailla jusqu’à la guerre comme cultivateur sur la petite exploitation familiale de six hectares. Trente ans plus tard, en prison, il prendra plaisir à décrire, sans misérabilisme, et avec un souci d’authenticité, les travaux avec son père et sa mère, une femme qui resta toujours proche de lui. Le futur spécialiste des questions paysannes du Parti communiste eut donc une expérience professionnelle pendant plus d’une décennie. Ce jeune paysan qui n’aimait pas aller au bal de Samazan (c’est du moins ce qu’il écrivit le 6 septembre 1914) consacrait ses loisirs à la lecture.

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L'autoroute du Sud

Rédigé par yalla castel - - 1 commentaire

Julio Cortázar

Bruxelles 1914 - Paris 1984

Il est né en Belgique, fils de parents argentins. Il fût l'un des auteurs le plus innovant et original de son temps, maître de la nouvelle courte, de la prose poétique et de la narration brève en général, comparable à Jorge Luis Borges, Antón Chéjov ou Edgar Allan Poe. Son écriture a changé la manière de faire de la littérature latino-américaine: ses récits échappent à la linéarité temporelle et les personnages ont acquis une autonomie et une profondeur psychologique peu de fois vues jusqu'à lors. Il a vécu une bonne partie de sa vie à Paris, ville dans laquelle il s''est établi en 1951 et dont l'ambiance se retrouve dans quelques unes de ses oeuvres.

Dans ce récit, écrit en 1964, Julio Cortázar raconte un fabuleux embouteillage sur l'autoroute entre Fontainebleau et Paris un dimanche soir. En réalité il s'agit d'une métaphore de nos propres vies: nous vivons pris au piège d'une routine. 

Chaque personne dans son automobile, identifié par sa marque ou son modèle, a pour objectif d'arriver à Paris pour réaliser une tâche déterminée. Un accident fera qu'ils partageront un même temps et lieu, l'autoroute, durant plusieurs jours. Bien que des groupes se créeront pour pouvoir subsister, chaque protagoniste vit sa propre solitude. Comme le signale Ariel Dorfman, L'autoroute du Sud constitue une mise en garde au sujet du précipice vers lequel nous nous dirigeons et cette critique de la technologie devient aujourd'hui encore plus valable et nécessaire, maintenant que la globalisation  est le dogme indiscutable de notre époque.

Jean Luc Godard s'est inspiré de ce récit fantastique pour réaliser son film Week-end (1967).

"Les contes de Cortazar ont l'étrange manie de s'accomplir dans la réalité". Ariel Dorfman

 

Traduction Jean François Sadys

Correction Marie Christine Queyreur

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