Rencontre paysanne

Rédigé par yalla castel - - 1 commentaire

"L'Angélus" tableau peint par Jean-François Millet.

Nous avons rencontré dernièrement Yves Guibert, trésorier de l'association "Solidarité Paysans Aquitaine" Il apporte un accompagnement solidaire aux agriculteurs en difficultés. Nous lui avons posé les questions suivantes: 

 

Jean-François Sadys: Yves Guibert, bonjour, quelle est la situation actuelle du monde agricole français?

Yves Guibert: Bonjour, le nombre de fermes françaises est en baisse constante. Cent milles ont disparu en dix ans. Il n'y a pas de perspectives d’amélioration. La baisse devrait s’accentuer dans les prochaines années. Les terres libérées s’en vont très majoritairement à l’agrandissement des exploitations existantes au détriment de l’installation de nouveaux paysans.

Des fermes de plus en plus grandes cela ne veut pas dire amélioration des revenus pour beaucoup d’entre elles. De nombreuses causes expliquent cette situation.

Les aléas climatiques liés au réchauffement de la planète sont en augmentation. Des gels ravageurs ont lourdement impacté vignes et vergers, des grêles intenses ont détruit des cultures. La sécheresse et les températures caniculaires ont fait chuter les rendements.

Les crises sanitaires sont très présentes en Aquitaine: grippe aviaire avec abattage massif de volailles, tuberculose bovine, là encore avec abattage de troupeaux entiers.

Les crises économiques s'y ajoutent: la crise viticole, la surproduction se traduit par un effondrement des prix du tonneau pour qui arrive à vendre. Crise de croissance de l’agriculture biologique, la production augmente mais le marché est en baisse, 1/3 du lait et des œufs bio vendus à perte sur le marché conventionnel.

La guerre en Ukraine a provoqué une très forte augmentation du prix des fournitures (engrais, carburants, aliments du bétail). L’élevage est touché de plein fouet.

Les mécanismes d’aides calamités et des assurances existent mais les indemnisations partielles, les payements tardifs et le coût trop élevé des assurances n’arrivent pas à préserver les plus touchés.

JFS: Pourquoi "Solidarité Paysans" ?

Y.G: Des paysans ont fait le constat, il y a plus de vingt ans, des drames humains dans le monde agricole. De là est née l’idée d’un accompagnement solidaire par des paysans pour des paysans. Un réseau national s’est structuré. Quatre vingt salariés dont plusieurs juristes, un millier de bénévoles, accompagnent plus de trois milles familles paysannes en France. En Aquitaine, deux salariés et une vingtaine de bénévoles accompagnants actifs apportent leur aide à plus de 130 familles paysannes.

JFS: Quelle est l'éthique et mode d’intervention de "Solidarité Paysan"?

YG: Nous répondons à toute demande sans aucune considération d’appartenances syndicales, sans aucune considération d’opinions politiques, philosophiques ou religieuses. L’unique règle est que la demande soit formulée directement par les personnes concernées.Nos interventions sont totalement gratuites, avec garantie de confidentialité.Elles se font dans le respect des personnes et de leurs choix.L’accompagnement est systématiquement fait en tandem, un salarié et un bénévole, ou deux bénévoles. Les bénévoles sont essentiellement des agriculteurs retraités. Cet accompagnement de pair à pair permet d’établir un climat de confiance mutuelle. Il est fondamental et fait toute l’originalité de notre action.

JFS: De qui est reconnue "Solidarité Paysans"?

YG: L’association est reconnue auprès des tribunaux dans le cadre de l’accompagnement des procédures judiciaires et auprès des préfectures.  Nous réalisons des audits sur les fermes en difficultées. Nous sommes présents dans les structures intervenant autour du mal être agricole.L'association est reconnue d’intérêt général, nos donateurs privés bénéficient de 66 % de crédits d’impôts sur les dons, 60 % pour les entreprises. 

JFS: D'où proviennent vos financements?

YG: Nous ne demandons aucune participation aux accompagnés, souvent leur situation est si dégradée qu’ils n’ont plus le minimum vital. Il nous faut trouver des soutiens pour assurer la rémunération de nos salariés, l’indemnisation des frais kilométriques, la formation de nos équipes et un minimum de moyens et outils de communication.

Nous bénéficions de l’aide du Conseil Régional, des départements de la Gironde et de la Dordogne, des Mutualités Sociales Agricoles de Gironde, Dordogne et Lot-et-`Garonne , de l’agence régionale de santé (ARS), de trois collectivités locales dont la communauté d’agglomération d’Agen.

Cela ne suffit pas à couvrir nos charges et la tendance est à une baisse des soutiens publics, nous développons l’appel aux dons via la plateforme Helloasso :

https://www.helloasso.com/associations/solidarite-paysans-aquitaine

ou par chèque au siège de notre association :

"Solidarité Paysans Aquitaine"

 2 bis rue du 8 mai 1945

33540 Sauveterre de Guyenne.

Tous les dons bénéficient du crédit d’impôt.

Ces soutiens sont indispensables à la poursuite de notre action en faveur des plus démunis du monde agricole.

JFS: Quel bilan et quel avenir pour l'association dont vous êtes le trésorier ?

YG: "Solidarité Paysans Aquitaine" est récente en Lot et Garonne. Quinze familles sont suivies. Six bénévoles actifs interviennent sur le département et les départements limitrophes. On constate, depuis début 2022, une forte augmentation des appels Aquitains. Ils ont plus que doublé par rapport à la moyenne des dix dernières années. Les situations sont plus complexes, plus dégradées. Ils concernent tous types de productions et de tailles de ferme. Au-delà des aspects techniques et financiers, le plus important, c’est l’humain. Ce sont des familles en souffrance, on n’est jamais à l’abri du drame. Plus de trois cents suicides d'agriculteurs sont identifiés chaque année en France.

Nous sommes les seuls à intervenir totalement gratuitement mais surtout notre intervention prend d’abord en compte les personnes. Nous ne sommes pas là pour juger. Nous sommes d’abord là pour écouter, nouer le dialogue. Notre présence, en tant que bénévoles agriculteurs retraités ou actifs, facilite l’échange, la mise en confiance. Le seul fait de pouvoir exprimer ses problèmes peut aider chacun dans un couple à mieux comprendre l’autre, à lever des non dits. Éclaircir la situation c’est aller à la découverte de solutions.

Appelés assez tôt les espoirs de redressement sont importants. Appelés trop tard c’est beaucoup plus compliqué au plan économique mais il reste au moins la possibilité de préserver l’humain et l’aider à s’en sortir dignement.

C’est un engagement très motivant où la seule bonne volonté ne suffit pas, raison pour laquelle, nous mettons en place un important programme de formations.

Nous avons besoin de nouveaux bénévoles du monde agricole et pas seulement. Nous recherchons des personnes ayant une bonne maîtrise comptable, des aptitudes à nous aider en matière de communication.

N’hésitez pas à parler de nous, à nous faire connaître. Pour ceux qui seraient concernés, n’hésitez pas à nous appeler, mieux vaut trop tôt même s’il n’est jamais trop tard.

JFS: Merci d'avoir répondu à nos questions.

YG: Merci de nous les avoir posées. :-)

 

Propos recueillis par Jean-François Sadys

 

 

Pour joindre "Solidarité Paysans Aquitaine":

 

solidarite.paysans.aquitaine@orange.fr

 

Tel : 06 59 08 57 39 et 07 68 47 88 30

Aurélien

Rédigé par yalla castel - - 2 commentaires

En 1981, je suis nommé instituteur adjoint dans une école de campagne à deux classes. Je découvre une commune rurale et ses habitants que je ne connaissais pas. Parmi les rencontres que je vais faire, une m’a marqué: celle avec Aurélien M… Il est à l’époque conseiller municipal. Il est paysan. Il travaille avec son jeune frère leur propriété héritée de leurs parents. J’apprendrai par un collègue qu’il a été premier de son canton aux épreuves du Certificat d’études avant la seconde mondiale. Je découvre très vite qu’il sait beaucoup de choses, qu’il connaît beaucoup de monde, qu’il rencontre beaucoup de monde et que beaucoup de monde lui rend visite. Il sait par coeur de très longs morceaux de la littérature française mais aussi des poésies, des chansons. Il est une véritable bibliothèque sonore à lui tout seul. Au fil des rencontres, je m’aperçois qu’il lit beaucoup et « de tout ». Des personnes lui prêtent des livres. Il fait partie de ces personnes qui toute leur vie cherchent à apprendre quelque chose de nouveau chaque fois qu’elles peuvent le faire. Ces sources d’informations ne sont pas la radio et la télé mais tout ce qui est écrit et tout ce qui lui est dit. J’ai assisté plusieurs fois à des rencontres où il était présent. Il posait beaucoup de questions aux autres pour apprendre d’eux ce qu’il ne savait pas. Ils étaient pour lui une forme de bibliothèque humaine.

 

Le 2 août 1991 les USA, à la tête d’une coalition de 35 pays, déclarent la guerre à Saddam Hussein soupçonné d’avoir des armes de dissuasion massive pour l'obliger à quitter le Koweit qu’il avait fait envahir par son armée. 

 

S’il y a eu, pendant la guerre du Viet-Nam, beaucoup de photos, de films, de reportages sur le terrain diffusés par les chaînes de télé du monde entier, cette fois-ci très peu d’images filtrent des combats humains. Les images sur les chaînes de télés ressemblent à celles des jeux vidéos de guerre. A en croire les médias, cette guerre n’est faite que de « frappes chirurgicales ». Une guerre à distance sans victimes humaines faite par missiles sol-sol et sol-air. La maîtrise de l’air semble être nettement du côté des USA et de leurs alliés. Rapidement le pays devient un champ de ruines. Rapidement une vérité s’impose: ce n’est pas l’Irak qui possède les armes de destruction massive. Cette guerre aurait-elle eu lieu si l’Irak avait eu la bombe atomique? Aurait-elle eu lieu si au lieu de champs pétrolifères il n’y avait eu que des champs de lentilles en Irak? Si Saddam Hussein n’avait pas envahi le Koweit? 

 

C’est alors qu’un soir, après la classe, je suis allé rendre visite à Aurélien M… chez lui. Il m’a fait entrer. Nous nous sommes assis près de la cheminée où une petite flambée était là pour nous tenir compagnie. Je lui ai fait par de mes états d’âme. Et voici ce qu’il m’a dit alors:

 

« Petit, notre père est mort quand nous étions gosses mon frère et moi. Nous avons aidé notre mère sur la propriété. En 1940 je suis mobilisé. Crois-moi, c’était dur pour moi de partir et de les laisser se débrouiller seuls. D’autant plus dur que nos chevaux ont été réquisitionnés. Cet été là et cet automne là, ma mère et mon jeune frère ont récolté ce qu’ils ont pu récolter à quatre mains. Le reste a pourri sur place. Alors tu vois si demain nous n’avons plus de pétrole et bien ça va être terrible pour tout le monde. Plus de tracteur pour faire les labours, plus de moissonneuses batteuses, plus de camions pour nourrir les villes. Il reste quelques chevaux de traits mais pas assez pour faire le travail des engins agricoles d’aujourd’hui. Travailler avec des boeufs? Il y en a presque plus et surtout il y a plus personne qui sait travailler avec. Alors, oui, s’il n’y a plus de pétrole, je ne peux pas imaginer que ça soit possible de faire sans. »

 

La guerre s’est poursuivie sur un rythme accéléré. Il y avait bien des manifs contre mais avec de moins en moins de monde à chaque fois. Les opérations militaires se sont poursuivies et l’Irak a été rapidement vaincu.

 

Une de ces opérations s’est appelée « Tempête du désert ». Je me souviens d’avoir pensé à l’époque: « Qui sème le vent récolte la tempête. Qui sème la tempête du désert récolte quoi? » A l’époque je ne savais pas quoi répondre. Aujourd’hui, nous le savons: « Qui sème la tempête du désert récolte Daesh. »

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