" Tout ce qui se trouvait dans les maisons avait été acheté avant la guerre. Les casseroles étaient noircies, démanchées, les cuvettes désémaillées, les brocs percés, colmatés avec des pastilles vissées dans le trou. Les manteaux étaient retapés, les cols des chemise retournés, les vêtements du dimanche passés au tous-les-jours. Qu'on arrête pas de grandir désespérait les mères, obligées de rallonger les robes d'une bande de tissu, d'acheter des chaussures une pointur au-dessus, trop petites un an après. Tout devait faire de l'usage, le plumier, la boîte de peinture Lefranc et le paquet de petits-beure Lu. Rien ne se jetait. Les seaux de nuit servaient d'engrais au jardin, le crottin ramassé ddans la rue après le passage d'un cheval à l'entretien des pots de fleurs, le journal à envelopper les légumes, séchèr l'intérieur des chaussures mouillées, s'essuyer aux cabinets. On vivait dans la rareté de tout."
"Les Années", pages 38/39 d'Annie Ernaux.
Voici une description de la France de notre enfance dans les années 50/60:
"La France était immense et composée de populations distinctes par leur nourriture et leurs façons de parler, arpentée en juillet par les coureurs du Tour dont on suivait les étapes sur la carte Michelin punaisée au mur de la cuisine. La plupart des vies se déroulaient dans le même périmètre d'une cinquantaine de kilommètres. Quand s'élevait à l'église le grondement vainqueur du cantique Chez nous soyait reine on savait que chez nous désignait là où l'on habitait, la ville,L'exotisme commençait à la grande ville la plus proche. Le reste du monde était irréel. Les plus instruits ou qui aspiraient à l'être s'inscrivaient aux conférences de Connaissance du monde. Les autres lisaient Sélection du Reader's Digest ou Constellation , "le monde vu en français". La carte postale envoyée de Bizerte par un cousin qui y faisait son service militaire plongeait dans une sidération rêveuse.
Paris représentait la beauté et la puissance, une totalité mystérieuse, effrayante, dont chaque rue figurant dans journal ou citée par la réclame, boulevard Barbès, rue Gazan, Jean Mineur 116 avenue des Champs Elysées, excitait l'imagination. Les gens qui y avaient vécu, ou qui s'y étaient seulement rendus en excursion, avaient vu la tour Eiffel, étaient auréolés de supériorité. Les soirs d'été, à la fin des longues journées poussiéreuses des vacances, on allait à l'arrivée du train express regarder ceux qui étaient allés ailleurs et descendaient avec des valises, des sacs d'achats du Printemps, les pèlerins rentrant de Lourdes. Les chonsons évoquant les régions inconnues, le Midi, les Pyrénées, les Fandango du pays basque, Montagnes d'Italie, Mexico donnaient du désir. Dans les nuages du couchant bordés de rose, on voyait des maharadjahs et des palais indiens. On se plaignait aux parents, "on ne va jamais nulle part!", ils répondaient avec étonnement "Où veux-tu aller, tu n'es pas bien là où tu es?"
Annie Ernaux, "Les années", pages 37/38, édition Gallimard NRF.
ISBN 978-2-07-077922-2
Je partage le point de vue de Koz sur le fond et la forme et je le partage concrètement sur Facebook et dans mon carnet d'adresses mails. Il jette un caillou dans la mare de l'indifférence et je souhaite qu'il fasse beaucoup de cercles dans l'eau des réseaux sociaux.
Voir lien suivant: http://www.koztoujours.fr/ceux-qui-se-tournent-vers-la-terre-francaise
Cet été je me suis trouvé nez à nez avec un camp de migrants dans le centre ville de Nantes. (Voir lien ci-dessous) Je suis resté sans voix et sans trop savoir que faire, que dire, que penser.
En 1981 j'ai participé à l'ordination d'un jeune prêtre qui m'a emmené par la suite au camp de réfugiés indochinois de Bias en Lot-et-Garonne. Nous y avons reçu un accueil chaleureux. Il y a aussi à Bias un camp de harkis. Je n'y suis jamais allé mais je sais qu'il existe. (Voir lien ci-dessous)
En tant que bénévole aux Captifs la Libération de Bordeaux je ne suis pas dans le découragement, le désespoir, l'indifférence mais certains jours j 'ai l'impression de vider l'océan de misères et de détresses humaines au dé à coudre.
http://yallahcastel.fr/Blog/index.php?article263/nantes-3
http://www.harkisdordogne.com/article-harkis-de-bias-47-au-carrefour-de-l-histoire-101779400.html
Colibri Cx
"La guerre n’est pas une catastrophe, c’est un moyen de gouvernement. L’état capitaliste ne connaît pas les hommes qui cherchent ce que nous appelons le bonheur, les hommes dont le propre est d’être ce qu’ils sont, les hommes en chair et en os ; il ne connaît qu’une matière première pour produire du capital.
Pour produire du capital, il a à certains moments, besoin de la guerre, comme un menuisier a besoin d’un rabot, il se sert de la guerre. L’enfant, les yeux bleus, la mère, le père, la joie, le bonheur, l’amour, la paix, l’ombre des arbres, la fraîcheur du vent, la course sautelante des eaux, il ne connaît pas. (...) Il n’a de lois que pour le sang et pour l’or. Dans l’état capitaliste, ceux qui jouissent ne jouissent que de sang et d’or. (...) L’état capitaliste nous cache gentiment le chemin de l’abattoir (...).
Je préfère vivre. Je préfère vivre et tuer la guerre, et tuer l’état capitaliste (...) je ne veux pas me sacrifier. Je n’ai besoin du sacrifice de personne.
Je te reconnais, Deveudeux, qui as été tué à côté de moi devant la batterie de l’hôpital, en attaquant le fort de Vaux. Ne t’inquiète pas, je te vois. Ton front est là bas sur cette colline posé sur le feuillage des yeux, ta bouche est dans ce vallon. Ton oeil qui ne bouge plus se remplit de poussière dans les sables du torrent. Ton corps crevé, tes mains entortillées dans tes entrailles, est quelque part là bas sous l’ombre, comme sous la capote que nous avions jetée sur toi parce que tu étais trop terrible à voir et que nous étions obligés de rester près de toi, car la mitrailleuse égalisait le trou d’obus au ras des crêtes. (...)
Je te reconnais, Jolivet, qui as été tué à côté de moi devant la batterie de l’hôpital en attaquant le fort de Vaux. Je ne te vois pas car ton visage a été d’un seul coup raboté, et j’avais des copeaux de ta chair sur mes mains, mais j’entends, de ta bouche inhumaine, ce gémissement qui se gonfle et puis se tait. (...)
Je ne peux pas oublier que vous avez été des hommes vivants et que vous êtes morts, qu’on vous a tués au grand moment où vous cherchiez votre bonheur, et qu’on vous a tués pour rien, qu’on vous a engagés par force et par mensonge dans des actions où votre intérêt n’était pas.
Vous dont j’ai connu l’amitié, le rire et la joie, je ne peux pas oublier que les dirigeants de la guerre ne vous considéraient que comme du matériel. Vous dont j’ai vu le sang, vous dont j’ai vu la pourriture, vous qui êtes devenus de la terre, vous qui êtes devenus des billets de banque dans la poche des capitalistes, je ne peux pas oublier la période de votre transformation où l’on vous a hâchés pour changer votre chair sereine en or et sang dont le régime avait besoin.
Et vous avez gagné. Car vos visages sont dans toutes les brumes, vos voix dans toutes les saisons, vos gémissements dans toutes les nuits, vos corps gonflent la terre comme le corps des monstres gonfle la mer. Je ne peux pas oublier. Je ne peux pas pardonner. Votre présence farouche nous défend la pitié. Même pour nos amis, s’ils oublient.(...)
Je refuse d’obéir. "
Jean Giono.
Extrait de "Je ne peux pas oublier", Refus d’obéissance. Edition La Pléïade.
Jean Giono, publié en 1934.
Giono est allé en prison (à Marseille) pour ce texte et pour son refus de partir à la guerre, en 1939.