Notre marche reprend, j'ai mal aux jambes, je n'arrive plus à le suivre avec autant d'entrain. J'irais bien l'attendre dans la voiture mais je suis perdue, complétement dépendante de son bon vouloir malheureusement.
Pourtant ici et là, il me semble reconnaître un arbre, une branche tordue. Mais non, je dois me tromper, avec tous les pas que nous avons fait jusqu'à présent il est impossible que nous soyons resté sur le même secteur!
Tout à coup, j'ai oublié toutes mes douleurs car j'entends les feuilles qui s'envolent pour laisser place à une magnifique bécasse. Cette fois-ci il épaule et tire. C'est sûr il l'a eue! Pourtant impossible de la retrouver malgré le flair aiguisé de Resma. Dubitatifs et résignés, nous reprenons notre marche en pensant "Nous ne sommes vraiment pas couillus!"
Devant nous, encore des fientes qui montrent que les lieux où nous sommes sont ou ont été habités.
Toute la matinée notre marche est rythmée par le grelot de notre jeune setter anglais. Quand nous ne l'entendons plus, nous nous arrêtons, aux aguets nous aussi.
A nouveau le silence, Resma est à l'arrêt. Fla, fla, fla, fla! La chienne ne bouge toujours pas et attend que le patron prouve ce dont il est capable.
Le tir résonne dans la forêt et dans tout mon corps. Quelques plumes retombent après le bruit sourd produit par la chute de la mordorée.
Sans faire ni une ni deux, Resma se remet à courir, le museau au ras du sol à la recherche de la bécasse. Il ne lui faudra que quelques secondes pour la ramener dans sa gueule au pied du patron.
Un peu à l'écart, j'observe la scène et me demande qui de la chienne ou du patron est le plus heureux.
Chacun à leur façon, ils n'ont de cesse de se congratuler.
Le patron, fier, félicite sa chienne et la carresse tout en lui laissant sentir l'oiseau.
La chienne, fière, renifle et lèche l'oiseau.
Une grande complicité les unit à ce moment là. Je serais presque jalouse de ne pas partager leur bonheur que je ne suis pas sûre de très bien comprendre.
Après plusieurs heures dans les bois, il est enfin temps de rentrer. Arrivés à la voiture, une surprise nous attend. La bécasse blessée mais introuvable était venue finir ses jours aux pieds de la voiture!!!
Finalement, le patron comme la chienne avaient doublement de quoi être fiers d'eux en cette fin de matinée!
Je n'ai pas le permis de chasse mais j'ai décidé ce matin que j'irai à la chasse.
Ma tenue vestimentaire est pauvre comparée à la sienne. Pour éviter les grosses épines, je n'ai pas trouvé mieux que d'enfiler deux pantalons l'un sur l'autre. Pour le haut du corps, j'ai pris ma veste huilée offerte pour parer à tous les désagréments possibles rencontrés au cours de nos diverses sorties dans notre campagne.
Cette nuit, il a gelé. La forêt en garde encore les stigmates. C'est un spectacle magnifique qui s'offre à nous.
A travers des branchages, le soleil joue avec les couleurs. Il illumine une goutte d'eau encore gelée, prisonnière d'une toile d'araignée tissée au milieu des genets.
Evidemment, loin derrière lui, je suis la seule à avoir remarqué ce détail. Lui, il est là pour prendre l'air, voir sa chienne Resma travailler et bien entendu pour la bécasse mais sûrement pas pour la beauté du givre.
D'un oeil il veille les moindres mouvements de Resma, tandis qu'au sol, il recherche les indices qui lui prouveront que l'oiseau au long bec a élu domicile dans ces broussailles.
Toujours loin derrière, mais pas trop quand même, je le suis. Au milieu des ronces, des fougères, ajoncs, nous nous frayons un passage. La chienne n'a de cesse que de faire des allers-retours alors que moi je commence déjà à être épuisée.
Tout à coup, le grelot de la chienne s'est tu: elle est à l'arrêt. Nous l'observons et nous écoutons. Finalement, c'était une fausse alerte; la chienne repart renifler plus loin.
A nos pieds, il y a pourtant un miroir. Il décide d'y renvoyer Resma qui semble perplexe à cause de ce tas de ronces qu'elle va devoir revisiter pour faire plaisir à son patron.
Alors, après un petit temps d'hésitation, elle se lance et avance et, tout à coup, elle est à nouveau à l'arrêt. L'oiseau au long bec prend son élan et s'envole dans les rayons du soleil. Notre chasseur épaule, tire mais la manque. Il ne dit rien mais je sais qu'il s'en veut. La chienne a pourtant bien travaillé mais lui n'a pas été capable d'en faire de même!
Notre ami n'est pas un habitué de la chasse à la bécasse alors il lui a fallu un certain temps avant de réagir!
A cause de cet échec, je sais que nous sommes dans les bois pour un long moment encore car il ne voudra pas rester sur un loupé et il cherchera une autre bécasse autant pour lui que pour la chienne.
Resma est encore jeune, c'est sa première sainson de chasse. Elle ne sait pas ce qu'elle doit chercher exactement. Il faut donc lui en tuer au moins une pour qu'elle comprenne ce que le patron attend d'elle.
"Nous ne voulons plus travailler au spectacle de la fin du monde, mais à la fin du monde du spectacle."
“Plus vous avez une appréciation juste de vos qualités, plus vous êtes modeste. Et normalement, vous ne vous sentez pas apte à devenir chef d’état.” (Anne Guion, journal « La Vie »)
Guy Debord:
"Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ; elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique."
« La société du spectacle » de Guy Debord, extrait:
" L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir… C’est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout."
“Je ne savais pas que c’était si simple de faire son devoir quand on est en danger. ”
Jean Moulin