Navalny (1)

Rédigé par yalla castel - - 2 commentaires

Extrait du journal "Réforme", hebdomadaire protestant d'actualité, du 22/02/2024, page 6.

La mort d’Alexeï Navalny, son lâche assassinat en prison, est un événement qui nous ébranle, nous épouvante et nous donne à penser. Bien sûr, c’est la déclaration par Poutine d’une guerre totale. Mais qu’est-ce qui nous étonne ? Ce n’est pas cette exécution, qui apparaît rétrospectivement comme tellement prévisible, sinon fatale. C’est sans doute la force d’âme de celui qui s’est levé face à cette fatalité devant laquelle d’ordinaire on se plie, d’avance résignés. Pourtant l’étonnement demeure : il n’était pas un dissident, quittant son pays pour dénoncer de l’extérieur ce qui s’y passe !

Pourquoi Navalny a-t-il renoncé à une vie normale pour oser ainsi entrer en politique ? C’est cela qui nous donne à penser : au contraire, juste après un empoisonnement mortel, il est retourné en Russie, pour s’y faire incarcérer et faire entendre sa voix puissante et protestatrice, mais de l’intérieur, en libre citoyen. Un peu comme Socrate refuse de s’évader et de quitter Athènes qui le condamne à boire la ciguë. Un peu comme Jésus revient à Jérusalem sur un âne, alors qu’il sait qu’il va y être condamné. Que voulait dire Navalny quand il disait que Jésus est le plus grand homme politique de l’histoire ? La Russie de Poutine – nous n’oublierons pas que Navalny faisait appel à une autre Russie, une Russie sans Poutine – a tout fait et fera tout pour effacer son nom. Il nous importe au plus haut point de savoir de quoi Navalny est le nom, l’étendard. Et pourquoi il était aussi un nationaliste russe plutôt conservateur, et en quoi c’est aussi cela qui l’a conduit à refuser de quitter son pays.

Source: 

https://www.reforme.net/opinions/2024/02/21/le-combat-de-navalny-est-aussi-le-notre/

Tolstoï (3)

Rédigé par yalla castel - - Aucun commentaire

Quand Pacôme vit ses voisins obtenir de beaux lopins de terre à des prix très modérés, il eut peur de ne pas en avoir aussi sa part, et en conféra avec sa femme.

— Il faut nous décider, et acheter de ce terrain comme les autres ; comptons nos économies.

Elles n’étaient pas lourdes, mais en vendant quelques meubles, du miel, en engageant son fils aîné comme domestique, Pacôme put avoir une plus grosse part que celle de ses voisins. Il alla signer son engagement à la ville, paya la moitié de la somme, et promit de solder le reste en deux ans.

Et voilà Pacôme qui a réalisé son rêve d’être grand propriétaire. Il ensemence ses terres.

Tout marcha à souhait pendant la première année, ses récoltes payèrent ses dettes. Il était fier de pouvoir dire « mes champs, mes bêtes, mes foins ». Les prairies lui semblaient plus vertes qu’autrefois, les arbres plus beaux, maintenant qu’ils lui appartenaient. C’est une joie que Dieu donne au paysan.

Léon Tolstoï (1868/1910)
Qu’il faut peu de place sur terre à l’homme

 

L'affiche rouge

Rédigé par yalla castel - - 2 commentaires

L’« affiche rouge » contre la glu des origines

Mercredi 21 février, Missak et Mélinée Manouchian entreront au Panthéon. 

Bonne nouvelle, il aura fallu 80 ans mais bonne nouvelle.

Mais pourquoi pas les vingt-trois de l’« affiche rouge » ? Pourquoi seulement Mélinée et Manouchian ? Il ne fut leur chef que durant les trois derniers mois, avant qu’ils soient tous fusillés ensemble, ce matin du 21 février 1944 où tout avait la couleur uniforme du givre. Non pas 23, mais 22 ce jour-là, 22 hommes. Il y avait une femme condamnée à mort aussi, la roumaine Olga Bancic. Elle fut exécutée plus tard, le 10 mai 1944 à Stuttgart, le cou tranché à la hache.

Leurs noms figureront sur une plaque près des Manouchian au Panthéon. Mais pourquoi pas tous ensemble ? Ils n’avaient pas demandé tout ça, ni à figurer sur l’« affiche rouge », ni à figurer au Panthéon comme décor pour le grand show de la macronie. Ils n’avaient réclamé la gloire ni les larmes. On entend déjà Macron, avec sa voix de cabotin et sa fausse émotion, faire l’éloge de ces étrangers et nos frères pourtant, alors même que sa loi « immigration » exploite la pire xénophobie, alors que même la loi du sol est remise en question, alors que l’extrême droite qu’il a favorisée est déjà sur le palier. Aujourd’hui, avec sa gueule de métèque, Manouchian serait bloqué à la frontière.

Aujourd’hui, combien d’étrangers de ce genre ne viendront jamais nous réinventer la France ?

Ceux de l’« affiche rouge » étaient polonais, arméniens, hongrois, italiens, espagnols, roumains et même français, peu leur importait, ils n’étaient pas cloués à leurs origines. Ils n’avaient pas leur terre collée à la semelle de leurs souliers, ils n’étaient pas retombés dans ce que Daniel Bensaïd appelait la « glu des origines ».

Ils étaient d’abord internationalistes. L’Internationale était leur acte de foi, leur cantique et leur feuille de route. Antifascistes aussi, ils avaient combattu contre Mussolini, contre Franco dans les Brigades internationales. C’était des ouvriers, des artisans, des tailleurs, des poètes parfois, mais surtout des « partisans ». FTP, MOI. Francs-tireurs et partisans, main-d’œuvre immigrée. Certains étaient juifs. C’était déterminant mais surtout pour les nazis. Les autres, quelle religion ? On dit que Manouchian a communié le matin avant d’être fusillé. Mais surtout, presque tous étaient communistes, voilà leur conviction. Amoureux de vivre à en mourir. Et à tuer puisqu’il le faut. « Tu ne fais pas de mal, tu ne fais que tuer des tueurs », disait Manouchian, le héros que la macronie s’apprête à célébrer. On attend que la phrase résonne sous les voûtes illustres et qu’elle se répète jusqu’au fin fond du monde.

La justice viendra sous leurs pas triomphants.

La macronie, c’est ni droite ni gauche. « Les extrêmes » se rejoignent. Ils sont excessifs et dangereux. Ce qui est juste, c’est le juste milieu. C’est le « en même temps ». Ni pour ni contre, bien au contraire. C’est l’état d’esprit de la collaboration. On sait ce qui sort de ce ventre mou. L’« affiche rouge » remet les extrêmes en lumière, pas d’arrangement. On ne met pas dans le même sac Hitler et le Front populaire.

Et la France, eux « qui criaient la France en s’abattant » ?

Pour quelle France mouraient-ils, ces étrangers ? La France de Laval et de la rafle du Vél’d’Hiv ? La France qui faisait suer le burnous dans nos belles colonies ? Ou celle d’aujourd’hui, lâche devant le massacre des enfants de Gaza ?

Alors, qu’auraient-ils préféré les vingt et trois de l’« affiche rouge » si on leur avait demandé : être oubliés ou être empaillés ?

Avant qu’ils aient répondu, les fusils fleurirent.

Daniel Mermet (Emission "Là-bas si j'y suis")

Peu nous importe...

Rédigé par yalla castel - - 1 commentaire

Samer Abu Hawwash, poète palestinien, 25 octobre 2023:

"Peu nous importe désormais que quiconque nous aime

Nous sommes fatigués des paroles dites et du non-dit

Des mains tendues qui ne parviennent pas

Et des yeux ouverts qui ne voient pas

Nous sommes fatigués de nous-mêmes

En cette nuit interminable

Et de l’attachement obstiné de nos mères

À ce qui reste de nous

D’un rocher que nous continuons de porter

Éternelle malédiction

De précipice en précipice

De trépas en trépas

Et nous n’arrivons toujours pas

Qu’importe, désormais, que quiconque nous aime

Que quiconque nous accompagne

Dans la procession de notre enterrement

Voilà que nous marchons en silence vers une dernière errance

Nous nous tenons tous par la main

Et nous avançons solitaires dans le désert du monde

À un moment

L’un de nos enfants se retourne

jette un dernier regard sur les décombres

Et dit en versant une larme unique :

Peu nous importe désormais que quiconque nous aime"

Fil RSS des articles de cette catégorie