Dépendance et liberté

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En quoi la dépendance est-elle porteuse d'une des plus grandes libertés?

La liberté est dans la dépendance, voici un oxymore qui pourrait nous venir tout droit de la novlangue chère à Georges Orwell. Aussi farfelues et provocatrices que les expression bien connues dans son œuvre dystopique(1) 1984 : La guerre, c'est la paix, la liberté, c'est l'esclavage, l'ignorance, c'est la force.

La dépendance est-elle porteuse d'une des plus grandes libertés? Si, cette question qui évoque la contradiction d'un lieu commun, a mérite d'être posée, c'est que ces deux sujets, liberté et dépendance, provoquent le questionnement plus dans la recherche de leur sens que de leur définition.


Même s'il n'est pas question d'éviter de définir tour à tour liberté et dépendance – ce qui sera fait - l'objet de la réflexion sera d'être au plus précis du rapprochement de ces deux termes. Il y a des cheminements personnels qui font apparaître ce qui nous semblait autrefois intelligible, rationnel et naturel, comme des choses aujourd’hui, à décrypter, à nuancer, des choses qui auraient vieilli.


Quand je suis entré dans la carrière de la vie, celle où l'on commence à conceptualiser, j'aurais bien sûr dit : L'indépendance est porteuse d'une des plus grandes libertés. En jeune anarchiste, en quête de ce que je croyais être ma liberté, j'aurais enrôlé, l'autonomie, l'insoumission, l'indépendance. J'aurais combattu l'autorité, la servitude, la dépendance. Je ressentais trop aimer la vie pour perdre mon temps à attendre que le temps passe. Trop dans l'air du temps – ce que l'on pourrait appeler l'impérialisme du présent – pour envisager un seul instant une dépendance au temps.


Mais aujourd’hui, avec l'empirisme qui relativise les concepts trop évidents, quelques expériences et connaissances de phénomènes de dépendances me font envisager la liberté avec une plus grande indépendance de pensée.


En particulier, deux expériences vécues m'ont fait réfléchir à la dépendance et à la liberté et à ce que cette première apportait - bien loin de la restreindre - à la seconde.
Une expérience avec ma mère où j'ai assisté un moment de sa vie que l'on nomme la dépendance des personnes très âgées.


Une seconde expérience où j'ai vécu une passion affective, relation dans laquelle, se pose le rapport de la dépendance et de la liberté.

Donc si l'on veut démontrer l'aspect positif que la dépendance apporte à la liberté, il est nécessaire d'abord séparément de définir ces deux mots dépendance et liberté.

La dépendance est généralement, le fait d'être lié organiquement ou fonctionnellement à un ensemble ou à un élément d'un ensemble.


La dépendance, du moins en ce qui concerne son caractère (registre) relationnel, est défini par une relation de subordination, de solidarité ou de causalité.

La subordination n'est bien sûr pas l'aspect de la dépendance qui favoriserait le mieux la liberté. A moins que la subordination, comme la servitude, soit volontaire. Dans ce cas, quel est ce genre de liberté ?

La solidarité fait appel à l'union et ne s'oppose pas en soit à la liberté. 1

La causalité (2) ou Principe de causalité, est le principe suivant lequel rien n'est sans cause. Un tel principe ne semble pas s'opposer à la liberté.

La liberté, de façon générale, est un concept qui désigne les possibilités d'action, de mouvement, de décision, de penser.


3 formulations de la liberté nous la font cerner :


formulation négative : où l'on pointe l'absence de soumission, de servitude, de contrainte.

formulation positive : où l'on affirme l'autonomie et la spontanéité du sujet rationnel ; les comportements humains volontaires se fondent sur la liberté et sont qualifiés de libres.

formulation relative : l'équilibre à trouver dans une alternative, visant notamment à rendre la liberté compatible avec des principes tels que l'égalité et la justice.

La liberté, se sentir libre, c'est toujours ou souvent de l'interdépendance entre moi et l'autre, entre moi et les objets de mes désirs. Comme quoi, on ne peut éprouver la liberté qu'en rapport avec la dépendance qu'on éprouve. Si nous faisons ce que nous voulons, sans dépendance, notre liberté est avant tout une licence. La licence comme la manifestation de la liberté totale que l'on se donnerait dans une indépendance totale de notre être. La licence que nous demandons à l'autre, à l'institution, comme le diplôme du même nom – qu'il soit universitaire ou pour pour vendre de l'alcool, n'est pas la liberté. C'est au plus un marchandage que nous commerçons dans notre besoin de reconnaissance.

La liberté, Sartre nous l'a expliqué, est tout autre chose. Elle a besoin de résistance pour s'affirmer. Elle consiste à consentir à des règles qui vont permettre d'agir délibérément en vue de réaliser un projet. La liberté est une action intentionnelle qui pose un choix créateur.

La liberté pose donc immédiatement la question de choisir et de la possibilité de choix. L'existence d'un degré de liberté suppose que le sujet soit confronté au moins à une alternative dont il est par conséquent dépendant.

Pour revenir au deux cas exemple précédemment évoqués, en quoi la dépendance a-t-elle apporté de la liberté dans mes expériences vécues?

Quand je me suis occupé de ma mère, les trois dernières années de sa vie, elle vivait dans ce qu'on appelle la dépendance. Aveugle, infirme de ses mouvements, clouée dans sa maison puis dans sa chambre. Assistée trois fois par jour par une auxiliaire de vie salariée. Pour ma part, j'allais la visiter presque une fois par semaine et restais avec elle une journée. Je la voyais donc dans cet état de dépendance dont il était peu probable qu'il s'améliore. Elle, devait bien avoir conscience que cet état serait le sien jusqu'au bout.

Alors deux questions m'ont été posées. Comme se faisait-il que dans cet état dépendant, cette femme respirait la plupart du temps la joie comme je ne l'avais jamais vue, et avait quitté presque définitivement son tempérament dépressif et son comportement vindicatif.

Comment se faisait-il que dans ma propre dépendance d'être obligé, par devoir, de passer du temps de présence avec elle, j'ai pu réaliser enfin de ce qui avait été la joie de l'avoir eu comme mère. De par cette dépendance de présence, d'avoir pu éprouver de cette réconciliation intérieure de par ce qui avait été toujours problématique et peine de ma relation avec elle.

Comme si de cette dépendance était née une liberté de reconnaissance. Comme si le temps de cette dépendance avait apporté le temps nécessaire à la liberté de se sentir vivre, pour ne pas dire de revivre.

Dans le deuxième exemple où j'ai rencontré l'apparente contradiction entre dépendance et liberté, il s'agit d'une relation entre pairs, que l'on peut qualifier de relation affective intense et suivie. Qu'elle soit amoureuse ou d'amitié, la question du comment cette affection, cette passion a pu me rendre libre.

La dépendance, ici est de l'ordre de l'affection, comme quand deux personnes sont affectés à faire couple, dont l'affectation est l'union. Comme un couple qui a fait le choix de la fidélité dans le temps, comme la privation de la liberté d'aller voir ailleurs. Comme le couple qui fabrique par attirance, par affinité, cette grande dépendance que l'on nomme fusion. Cette dépendance, par lequel l'un est assujetti à l'autre. Ou symboliquement, il y a par moment comme une confusion des sujets.

Dans ce cadre rassurant – du moins tant qu'il est solide – ces deux qui s'aiment – on peut appeler ça comme ça – ces deux, gagnent une certaine liberté. Liberté de se mouvoir en confiance, puisque la relation établie, ils peuvent s'y fier. Dans cette dépendance encadrée, dans les limites fixées, donc qui ne bougent pas, les deux jouissent d'une des plus grandes libertés.

Dans le relationnel, l'humain ne cherche-t-il pas la dépendance bien avant la liberté. Ne passe-t-il pas dans les étapes de la vie, de la naissance, dépendance originelle et totale, à la mort, liberté suprême et totale. En quelque sorte, de la dépendance nécessaire pour acquérir une liberté suffisante.

Dans notre société, que cela soit au niveau individuel ou du modèle social, la dépendance n'a pas bonne presse. La personne autonome y est vantée, comme le sommet de l'accès à la liberté. La dépendance y est honni, comme l'image de la faiblesse, de celle qu'il faut cacher, si ce n'est éradiquer. Et c'est alors que l'on peut se demander par où est passée la liberté et comment elle nous touche et comment la toucher. Comme de cette strophe du fameux poème Liberté de Paul Eluard .

Sur l'absence sans désir Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort J'écris ton nom

Liberté

ou la chanson de Moustaki

Ma liberté
Devant tes volontés Mon âme était soumise

Serge Durrieux

(1) dystopique, aussi mauvais, désespérant, qu'une chose, une société puisse être.

(2) La causalité a pour premier terme la cause, c'est-à-dire la nécessité pour chaque partie d'être, par le fait de ce qui est hors d'elle, autre qu'elle ne serait si elle était seule.

 

Marie Claire et Pierre Wesselingh.

Rédigé par yalla castel - - 3 commentaires
Décès de Pierre Wesselingh

Nous avons été invités à venir rendre un dernier hommage à Pierre Wesselingh dans l'Eglise de Casteljaloux le lundi 9 septembre 2024 à 10h en présence de sa famille et de parents venus de Hollande lors d'une messe célébrée par le père Philippe d'Halluin. De nombreuses personnes qui le connaissaient étaient présentes et ont témoigné leur soutien à la famille. 

Voici le texte écrit et lu par Marie Christine Queyreur:

Pierre

 

c'est la franchise,

cet accent hollandais qu'il gardera toujours

dans un Français parfait,

parfois nuancé, toujours clair.

 

Pierre, c'est le courage et l'humour,

l'indignation devant les injustices

qu'il est prêt à combattre

et que parfois, il combat.

 

C'est la clairvoyance, le sens critique

il lit le Canard enchaîné, le Courrier International,

il participe au CCFD, terre solidaire,

Un homme généreux, amical,

enthousiaste.

 

Fidèle à ses idées,

volontaire, 
Il aime sa famille,

Il aime son jardin, cultiver la terre.

 

Il a formé avec Marie Claire

un couple aimant,

respectueux de l'autre

dans ses différences .

 

Adieu Pierre,

au revoir,

Il y a un paradis pour tous

tu vas la retrouver.

 

Texte et photos recueillis par Jean François Sadys, paroisse Notre Dame de l'Avance, Lot-et-Garonne.

 

Un juste hommage à un homme juste

Rédigé par yalla castel - - 2 commentaires

Discours du 21 juillet 2024 à Tonneins à l'occasion de l'hommage au pasteur Jean Saint-Martin, juste des nations.

Monsieur le Maire,

Mesdames, Messieurs,

Chères familles Favre et Saint Martin,

Chers concitoyens, chers amis tonneinquais,

C’est avec un plaisir non feint et une certaine émotion que je prends la parole ce matin devant vous en tant que pasteur de l’Eglise protestante unie de France à Tonneins et Marmande.

La journée nationale à la mémoire des victimes de crimes racistes et antisémites de l’état français a été instaurée en 1993 sous le mandat du président F.Mitterrand.

Quelques années plus tard, cette journée mémorielle du 16 juillet allait intégrer un « hommage aux justes de France », témoignant ainsi de la reconnaissance de la nation à celles et ceux qui, dans notre pays, durant les heures sombres de l’occupation nazie et du régime de Vichy avaient pris d’immenses risques pour protéger des juifs.

Nous nous retrouvons donc pour honorer la mémoire du pasteur Jean Saint Martin qui exerça son ministère à Lassale près de Nîmes de 1936 à 1943 et à Tonneins de 1943 à 1949.

Dans le Gard comme dans le Lot et Garonne, Jean Saint Martin expose sa vie car il partage la conviction biblique que, sur cette terre, nous sommes tous étrangers et voyageurs.

Le pasteur André Trocmé, également reconnu juste des Nations pour son action en Haute-Loire sur la commune du Chambon -sur- Lignon dut s’opposer lui aussi à la haine antisémite ; à la question des collaborateurs du nazisme : « Y-a-t-il des juifs parmi vous ? », il aura cette réponse simple et puissante : « Je ne connais pas de juifs, je ne connais que des hommes ».

Les protestants qui ne forment que 2% de la population française représentent près de 10% des 4200 justes reconnus dans notre pays.

La mémoire des persécutions durant près de 3 siècles et de l’exil de 200 000 protestants, fuyant à l’étranger vers ces pays qui seront leur refuge, nous rend, jusqu’à aujourd’hui sensibles aux drames de l’immigration, des sans-papiers et des étrangers demandeurs d’asile.

Si comme l’écrivait Saint Augustin, « la mémoire, c’est le présent du passé », comment ne pas faire le lien entre la période douloureuse des années 30 et 40 du XXème siècle et la montée des populismes et des nationalismes sur lesquels surfent les partis d’extrême droite en Europe et en France ?

Dans ce Lot et Garonne qui nous est si cher, et en écho à l’action des justes qui prirent hier, la défense des juifs dont certains étaient également étrangers, me sont venus à l’esprit deux exemples qui peuvent nous éclairer en ce mois de juillet 2024.

La première figure que je souhaite évoquer est celle de Georges Charpak, juif polonais, arrivé en France à l’âge de 7 ans en 1931. Entrant en résistance dès l’âge de 18 ans, il est arrêté en 1943, emprisonné eu centre de détention d’Eysses, près de Villeneuve sur Lot, il va être déporté au camp de concentration de Dachau après une tentative d’évasion collective de la prison lot et garonnaise.
Miraculeusement survivant, il obtiendra la nationalité française en 1946 et son parcours intellectuel et scientifique hors norme le verra honoré du prix Nobel de physique en 1992.

Un autre exemple beaucoup plus récent nous interpelle également ; il s’agit de l’histoire de Mangal, Sadaqat et Noori, trois jeunes afghans, qui, au péril de leur vie ont plongé dans la Garonne à Agen au mois de mars dernier pour sauver d’une noyade certaine une femme qui s’était jetée à l’eau, ce qui leur a valu la reconnaissance de notre pays.

Si la mémoire est bien le présent du passé, reconnaissons alors que les justes d’hier comme ceux d’aujourd’hui sont celles et ceux qui s’engagent et qui luttent pour le droit des étrangers, pour le respect du droit d’asile et pour une fraternité sans frontière ni origine.

Dans les années 30, les disciples du père de l’extrême-droite française, Charles Maurras, penseur de l’action française, n’auront de cesse de dénoncer une société gangrénée par les juifs, les protestants, les francs-maçons et les métèques.

 

Les protestants français gardent le souvenir, comme je l’évoquais, d’avoir été durant une longue période une minorité persécutée et obligée de se cacher. Cela nous rend ainsi proches de tous ceux qui qui luttent pour avoir simplement le droit de pratiquer leur culte ou de revendiquer pacifiquement leur identité et leur culture.

 

Honorer la mémoire du pasteur Jean Saint Martin, c’est tout naturellement, en ce mois de juillet 2024, dénoncer l’antisémitisme d’où qu’il vienne mais aussi tous les discours xénophobes et islamophobes qui libèrent une parole et des actes racistes.

Les actes courageux de nos prédécesseurs sont comme des lumières, des balises sur les chemins des chrétiens et des citoyens d’aujourd’hui. Les souffrances économiques et sociales sont des réalités que les protestants connaissent et l’entraide protestante de Tonneins témoigne de notre engagement auprès des plus précaires de la population de notre cité.

Pour autant, nous ne saurions accepter de faire de l’étranger, du juif ou du musulman, le bouc émissaire, responsable de tous les maux de notre société. En dénonçant les idées et le vote extrême, en rappelant les risques que font courir les programmes des partis d’extrême droite en Europe et du rassemblement national en France, nous revendiquons simplement l’héritage spirituel de ces hommes et ces femmes courageux qui, exposant leurs vies, ont pris la défense de victimes innocentes parce que juives, étrangères ou opposantes au nazisme.

Une figure tutélaire du protestantisme français est Marie Durand, sœur du pasteur Pierre Durand, exécuté à l’âge de 32 ans. Cette femme fut enfermée 38 années dans la tour de Constance qui servait de prison à Aigues-Mortes en ce 18 ème siècle, sous la férule de Louis XIV ; elle refusera d’abjurer sa foi et sur la margelle du puits de la prison, on trouvera gravé dans la pierre ce simple verbe : « Résister ».

Nul doute qu’en 2024, comme il y a 80 ans, « résister », c’est s’opposer à toutes les idées, toutes les attitudes et toutes les paroles qui peuvent déchirer le tissu social et le désir du « vivre-ensemble ».

Nous sommes fiers de l’attitude des justes hier qui nous oblige aujourd’hui à une vigilance et un engagement constant auprès des exilés, des réfugiés et de ceux qui sont victimes dans notre pays d’humiliations et d’insultes racistes et antisémites.

Que la devise républicaine qui est bien souvent au fronton de nos temples soit effective pour tous : Liberté-Egalité-Fraternité

Je vous remercie.

 

Pasteur Frédéric Girard

 

(Etre juste parmi les nations est un titre honorifique décerné par Israël à toute personne qui n'est pas juive pour  avoir apporté une aide à des juifs, dans des situations où les Juifs étaient menacés de mort, au risque de sa propre vie et de celle de ses proches.)

 

Pour en savoir plus:

 

https://yadvashem-france.org/la-vie-du-comite/actualites/un-nouveau-juste-parmi-les-nations-le-pasteur-jean-saint-martin/

L'affiche rouge

Rédigé par yalla castel - - 2 commentaires

L’« affiche rouge » contre la glu des origines

Mercredi 21 février, Missak et Mélinée Manouchian entreront au Panthéon. 

Bonne nouvelle, il aura fallu 80 ans mais bonne nouvelle.

Mais pourquoi pas les vingt-trois de l’« affiche rouge » ? Pourquoi seulement Mélinée et Manouchian ? Il ne fut leur chef que durant les trois derniers mois, avant qu’ils soient tous fusillés ensemble, ce matin du 21 février 1944 où tout avait la couleur uniforme du givre. Non pas 23, mais 22 ce jour-là, 22 hommes. Il y avait une femme condamnée à mort aussi, la roumaine Olga Bancic. Elle fut exécutée plus tard, le 10 mai 1944 à Stuttgart, le cou tranché à la hache.

Leurs noms figureront sur une plaque près des Manouchian au Panthéon. Mais pourquoi pas tous ensemble ? Ils n’avaient pas demandé tout ça, ni à figurer sur l’« affiche rouge », ni à figurer au Panthéon comme décor pour le grand show de la macronie. Ils n’avaient réclamé la gloire ni les larmes. On entend déjà Macron, avec sa voix de cabotin et sa fausse émotion, faire l’éloge de ces étrangers et nos frères pourtant, alors même que sa loi « immigration » exploite la pire xénophobie, alors que même la loi du sol est remise en question, alors que l’extrême droite qu’il a favorisée est déjà sur le palier. Aujourd’hui, avec sa gueule de métèque, Manouchian serait bloqué à la frontière.

Aujourd’hui, combien d’étrangers de ce genre ne viendront jamais nous réinventer la France ?

Ceux de l’« affiche rouge » étaient polonais, arméniens, hongrois, italiens, espagnols, roumains et même français, peu leur importait, ils n’étaient pas cloués à leurs origines. Ils n’avaient pas leur terre collée à la semelle de leurs souliers, ils n’étaient pas retombés dans ce que Daniel Bensaïd appelait la « glu des origines ».

Ils étaient d’abord internationalistes. L’Internationale était leur acte de foi, leur cantique et leur feuille de route. Antifascistes aussi, ils avaient combattu contre Mussolini, contre Franco dans les Brigades internationales. C’était des ouvriers, des artisans, des tailleurs, des poètes parfois, mais surtout des « partisans ». FTP, MOI. Francs-tireurs et partisans, main-d’œuvre immigrée. Certains étaient juifs. C’était déterminant mais surtout pour les nazis. Les autres, quelle religion ? On dit que Manouchian a communié le matin avant d’être fusillé. Mais surtout, presque tous étaient communistes, voilà leur conviction. Amoureux de vivre à en mourir. Et à tuer puisqu’il le faut. « Tu ne fais pas de mal, tu ne fais que tuer des tueurs », disait Manouchian, le héros que la macronie s’apprête à célébrer. On attend que la phrase résonne sous les voûtes illustres et qu’elle se répète jusqu’au fin fond du monde.

La justice viendra sous leurs pas triomphants.

La macronie, c’est ni droite ni gauche. « Les extrêmes » se rejoignent. Ils sont excessifs et dangereux. Ce qui est juste, c’est le juste milieu. C’est le « en même temps ». Ni pour ni contre, bien au contraire. C’est l’état d’esprit de la collaboration. On sait ce qui sort de ce ventre mou. L’« affiche rouge » remet les extrêmes en lumière, pas d’arrangement. On ne met pas dans le même sac Hitler et le Front populaire.

Et la France, eux « qui criaient la France en s’abattant » ?

Pour quelle France mouraient-ils, ces étrangers ? La France de Laval et de la rafle du Vél’d’Hiv ? La France qui faisait suer le burnous dans nos belles colonies ? Ou celle d’aujourd’hui, lâche devant le massacre des enfants de Gaza ?

Alors, qu’auraient-ils préféré les vingt et trois de l’« affiche rouge » si on leur avait demandé : être oubliés ou être empaillés ?

Avant qu’ils aient répondu, les fusils fleurirent.

Daniel Mermet (Emission "Là-bas si j'y suis")

Jean Claude Davenne (3)

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Sur son site internet la Fesu snuipp 47 a publié un entretien de Jean Claude Davenne avec la Ligue de l'enseignement. Le voici ci-dessous:

Je viens d’une famille très modeste qui vivait à Monbahus, petit village retiré, au nord du département. Nous n’avions pas de voiture et j’ai vécu jusqu’à l’âge de 15 ans dans cet endroit où il ne s’organisait des activités qu’autour de l’école qui avait une Amicale Laïque. Dans ce village, le côté religieux était très présent et l’école privée catholique bien implantée. Elle avait toutefois la même importance que l’école laïque. J’ai tout de même fait mon catéchisme, quoique la religion ne fut pas au centre de mon éducation, ni des préoccupations de ma famille.

Mon père était ouvrier menuisier dans une toute petite entreprise où ils étaient deux, le patron et lui. Il ne gagnait pas beaucoup d’argent et n’était pas toujours payé à temps. Mais dans cette famille modeste, j’ai vécu une enfance heureuse et j’ai fait de nombreuses découvertes à travers l’école, avant d’aller au collège public de Casseneuil pour lequel je n’ai pas de souvenirs particuliers en dehors de ce que l’on doit apprendre. J’étais en pension du fait que mes parents n’avaient pas le permis de conduire (nous étions d’ailleurs nombreux dans ce cas). Et puis, parce que des professeurs m’ont aidé à choisir, j’ai passé le concours d’entrée à l’Ecole Normale. A l’époque, il existait des professeurs qui faisaient un peu de social et qui sentaient que certains élèves avaient du potentiel. Ils savaient que je n’étais pas mauvais à l’école, que je pouvais poursuivre après le collège mais que je ne ferais pas d’études supérieures parce que nous étions quatre dans une famille avec peu de moyens. Ils m’ont incité à passer le concours d’entrée à l’Ecole Normale, ce que j’ai fait en troisième, sans guère d’espoir, d’autant que je savais qu’il y avait une classe spéciale au collège qui était constituée d’élèves qui préparaient le concours ; alors je n’avais pas trop d’illusions.

Mais je l’ai eu, et cela a été un changement total d’univers pour moi, parce que nous étions en 1969, donc après Mai 68... Ce qui était formidable, surtout, c’était l’ouverture culturelle. Il y avait un ciné-club, nous faisions des sorties au théâtre... J’ai découvert également la FOL qui organisait ce que je n’ai jamais revu depuis. Durant la première semaine de cours, il n’y avait pas d’enseignants et la FOL proposait des activités dans le but premier de permettre aux élèves de faire connaissance. Nous avons vécu une semaine formidable, avec des ateliers de théâtre, de cinéma qui permettaient de voir la FOL autrement qu’à travers des discours, mais autour d’activités qui nous passionnaient.

C’est là que je suis rentré « dans le bain », que je me suis tourné vers l’audiovisuel, d’abord par intérêt personnel. Tout le reste m’intéressait aussi, mais j’étais particulièrement attiré par le cinéma. L’audiovisuel se mettait en place. Au départ, c’était des diaporamas, des photos, du son, sans lien. Et puis j’ai fait des stages départementaux de formation où j’ai rencontré des gens qui étaient militants à la FOL. Cela m’a donné envie d’aller plus loin et donc j’ai fait de la formation audiovisuelle.

J’ai rencontré l’UFOLEIS, Marcel Desvergnes, ou d’autres gens comme lui et j’ai compris que j’avais des actions à mener là. C’est comme cela que je suis entré dans le milieu de l’animation et de la FOL. Quand je suis revenu de coopération, j’ai été mobile un temps, parce que, pour les jeunes qui débutaient comme moi, il n’y avait pas de poste fixe disponible. Il nous était donné des postes intéressants, des classes de transition, mais comme il y avait un poste qui se libérait à la FOL... je l’ai pris.

J’ai alors été responsable du service UFOLEIS, à la suite de Jacques Riche. J’étais arrivé à une époque où cela « bougeait » beaucoup. L’UFOLEIS faisait du prêt de matériel et du prêt de documents pédagogiques aux enseignants. A ce moment-là, le CDDP (Centre Département de Documentation Pédagogique) a pris de l’ampleur et nous avons été beaucoup plus sur le terrain, en lien avec d’autres services. La transversalité fonctionnait bien à la FOL, nous venions en complémentarité. Au départ nous allions aux Assemblées Générales des associations. Nous nous partagions le travail, avec les autres délégués, à la réunion hebdomadaire. Cela m’impressionnait parce que c’est là que je me suis aperçu que c’était très disparate, les associations étaient très diversifiées. Celles qui nous invitaient voulaient travailler avec nous.

Le Conseil Général, à ce moment-là, aidait beaucoup la FOL dans tous les domaines mais, au début des années quatre-vingt, tout a changé ; un premier coup nous a été porté. La FOL gérait beaucoup de centres de loisirs dans le département, les subventions y arrivaient et, brusquement, ce fut l’arrêt total. Mais ce n’était que le début car cela a continué, de façon assez radicale. Mon poste a été un des premiers à disparaître en 1987, durant la première cohabitation.

Concernant l’audiovisuel, nous avions maintenu les stages départementaux qui se faisaient le week-end. Il y a eu de moins en moins de participants et ils ont périclité. Il y avait aussi les ciné-clubs (66 lorsque je suis arrivé), quand je suis parti il en restait très peu. Il y en avait beaucoup dans les collèges et les lycées et, lorsque l’internat a disparu, les ciné-clubs ont cessé. Un épisode vidéo a suivi. Au début, nous faisions des stages surtout photos (argentiques à l’époque, diaporama, son, cinéma super 8), mais, à partir du moment où le ciné-club a disparu, nous avons essayé de renouveler l’activité cinéma.

C’est comme cela qu’est arrivé Cinéma Chez Nous qui, au départ, consistait à organiser une manifestation par an sur un secteur : Marmande, Casteljaloux, Duras et aussi dans le canton de Tournon. C’était dur, nous n’avions pas accès à tous les films de la distribution commerciale parce que nous n’étions pas un cinéma fixe. Ceux que nous arrivions à avoir étaient souvent des films très difficiles et vouloir développer le cinéma en milieu rural avec des films d’un abord compliqué, ce n’était pas gagné.

C’est comme cela que nous sommes arrivés, petit à petit, en allant voir des maires, à créer ce réseau qui, à l’époque, était régional. Nous avions Cinécole et déjà nous faisions, à Agen, des projections de films en plein air. Ensuite, nous avons mis en place Cinéma Chez Nous et, au départ, nous projetions les films comme nous pouvions. Je suis allé moi-même en projeter certains et je me souviens notamment d’un soir où j’étais intervenu à Duras. D’habitude, cela fonctionnait bien mais, cette fois-là, il faisait très froid et personne n’était venu. Il n’y avait que le curé. J’ai donc naturellement annoncé que, vu qu’il faisait si froid et qu’il n’y avait personne, j’allais partir. Mais non... Le curé voulait voir le film ! Alors, j’ai tout monté et lorsque le film a été terminé, personne n’était là pour m’aider à plier le matériel que j’ai dû charger seul dans ma voiture dont le coffre ne fermait pas. Je vous laisse imaginer le retour sur Agen avec le coffre partiellement ouvert, le froid qui rentrait ainsi que les fumées d’échappement qui m’obligeaient à ouvrir les vitres pour les évacuer, faisant ainsi encore plus rentrer le froid. Et de Duras à Agen, il y a quand même une heure et demie de route !

Pour la vidéo, nous avons aussi essayé beaucoup de choses, notamment avec les premiers caméscopes noir et blanc à bande. Le matériel coûtait cher et nous ne savions pas, à ce moment-là, que la vidéo allait évoluer très rapidement. Nous avions acheté avec l’aide de la Région du matériel de montage semi-professionnel « trois- quarts de pouce ». Il a été très vite dépassé par le VHS et ce n’était plus possible de gérer cette activité ; l’aventure a donc été courte. D’autant que sont arrivées tout de suite des structures privées qui avaient pour fonctionner des moyens bien plus importants que les nôtres, sans avoir pour autant les mêmes objectifs.

Nous avions des idées, comme par exemple avec Cinéma Chez Nous, nous nous étions dit que cela serait bien de réaliser un petit film sur le village et de le projeter avant le film commercial. Mais nous n’avions pas les moyens financiers d’appliquer nos idées.

Nous faisions aussi du prêt de matériel notamment les projecteurs de cinéma 16 millimètres, mais ce n’était pas toujours évident car les gens, sachant plus ou moins s’en servir, ils revenaient souvent dans des états improbables. Nous avions aussi des accessoires de théâtre et des projecteurs lumière ; l’action à ce niveau-là était très importante.

Ensuite, en 1987, j’ai quitté ce poste et, très vite, je suis arrivé à St-Pierre-de-Clairac où je suis resté 17 ans dans une école à deux classes. Je me suis senti bien dans cette école qui était proche de Radio Bulle où je me suis le plus investi. La radio, c’est quelque chose qui demande un gros investissement. A l’époque, j’ai été vice- président auprès de Louis Chevalier ; ensuite, je suis devenu président. C’était compliqué parce qu’il y avait quand même toute l’histoire de la radio à porter et je m’y suis fatigué. Nous avons eu pas mal de départs et puis des personnes se sont lassées. Nous avons fini à très peu, c’est devenu lourd à porter. J’ai donc arrêté parce que je n’en pouvais plus. La radio, c’était faire des émissions, les préparer à l’avance, y être, gérer, pallier le manque de bénévoles... Et puis c’était le moment où nous étions le plus reconnus, le moment où il y avait le plus de demandes. J’ai donc complètement arrêté pour ne plus me consacrer qu’à l’école parce que je n’avais pas l’énergie pour les deux.

En 2009, j’ai décidé de faire ma dernière année de classe et de prendre ma retraite. Mais comme j’avais peur de la coupure, pour ne pas qu’elle soit trop brutale, je suis entré, un an avant mon départ, aux Montreurs d’Images. J’étais jusque-là un simple adhérent mais j’ai décidé de m’y impliquer davantage. Je suis donc aujourd’hui trésorier de l’association et je compte m’y investir encore plus.

S’il fallait faire le point sur mon engagement, je dirais que j’étais déjà dans l’équipe audiovisuelle de la FOL en 1972 avant même d’y être délégué. J’étais dans l’équipe de bénévoles autour de Jacques Riche, avec Louis Chevalier, André Jourdes et d’autres... Depuis, je me sens toujours militant. Alors c’est normal pour moi de continuer aujourd’hui et je pense que je continuerai tant que je pourrai, parce que je suis ainsi, cela fait partie de moi.

Source: le site internet de la Fesu snuipp 47.

 

 

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