Le pansement Schubert

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Claire Oppert est née à Paris en 1966. Elle est une violoncelliste renommée. Elle a fait des études universitaires. Elle a écrit en 2020 un livre qui raconte sa participation en tant que musicienne dans des soins à des malades  très malades au sein d'équipes médicales parisiennes. En voici un extrait qui permet de comprendre le titre de son livre et ce qu'elle fait pour soigner par la musique des personnes en grandes souffrances.

Avril 2012. Paris, Korian Jardins d'Alesia.

Les feuilles du grand chêne devant les fenêtres de l'EHPAD, l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, tremblent de lumière, dans la clarté du printemps.

A l'étage des résidents déments, la porte de la salle commune que l'on nomme Espace est grande ouverte.

C'est curieux le terme espace. Je cherche dans le dictionnaire la définition de ce mot: étendue qui embrasse l'univers, vide interplanétaire, intersidéral et intergalactique. 

En entrant dans l'Espace, j'éteins la télé. Chaque lundi c'est comme un rite.

La télé reste allumée toute la journé, pourtant personne ne la regarde. En s'éteignant, elle fait un bruit singulier de machine avalée, et laisse toujours quelques traces grises dans le silence.

L'étage des vingt et un résidentes déments est protégé. Il s'appelle même unité de vie protégée. L'ascenseur est à code. Je l'oublie toujours quand j'arrive devant. C'est drôle.

Dans un coin de l'Espace, une femme hurle et se débat. Deux infirmières s'agitent autour d'elle, la maintenant fermement pour l'empêcher de tomber de son fauteuil, tout en parant ses attaques. 

Elles doivent absolument refaire le pansement de Mme Kessler. La plaie de son bras droit est purulente.

Je ne peux deviner son visage caché par le profil des infirmières aux sourcils froncés et aux gestes tendus. Lorsqu'elle cesse de crier, elle tente de les mordre.

Je ne sais pas ce qui me pousse à m'arrêter devant elle. Je ne prononce pas une parole. Je m'assieds et lui joue au violoncelle le ttème de l'andante du Trio op 100 de Schubert.

Il se passe trois secondes à peine, deux mesures peut-être, et son bras se détend. Il s'abandonne d'un coup. Les cris cessent, le calme revient dans la pièce. Je peux observer alors son visage, regard étonné, et à ses lèvres une ébauche de sourire. 

Je joue peu ce jour-là, tant le pansement est rapide. C'est plus qu'une surprise, comme un prodige. Je vois les infirmières sourire à leur tour, l'une d'elles rit même et me dit: "Il faudra absolument revenir pour le pansement Schubert". 

C'est joliment tourné, tout à fait adéquat. L'expression est née ainsi et elle est restée par la suite.

Quand je m'éloigne, je sais déjà qu'il s'est passé quelque chose d'essentiel. Je suis confrontée pour la première fois à l'évidence d'un résultat de soulagement radical d'une personne douloureuse. Et quand, un an plus tard, je mets au point sur plus d'une centaine de patients en fin de vie, à l'unité de soins palliatifs de l'hôpital Sainte-Périne à Paris, le protocole du Pansement de Schubert" expérimenté spontanément à l'Espace des déments, le médecin chef du service à cette formule brève et éloquente: "10 minutes de Schubert=5 mg d'Oxynorm". (1)

Il y aura Schubert, mais aussi Bach, Mozart, Beethoven, Brahms, Rachmaninov, des aires de Puccini et Verdi, des chansons de Piaf, Cloclo, Sardou, Adamo, Johnny, des valses et des tangos, des chants juifs, arabes et africains, du folklore breton, irlandais, du flamenco, des musiques de films, du gospel, du jazz, du rock, du pop, du métal!

La même semaine, je reviens deux fois pour accompagner le pansement de Mme Kessler, avec des résultats identiques. Il n'y a pas d'autre manière de soulager sa douleur. Elle est assise dans son fauteuil toute droite, avec son bras offert aux soins et, tandis que je joue pour elle en boucle le thème de l'andante du Trio op.100 de Schubert, la lumière sur son visage est si intense qu'elle irradie en un flot étincelant toute la pièce, les infirmières et moi-même. Dehors le chêne aux larges branches en reçoit lui aussi abondamment. C'est du moins ce qu'il me semble, quand je le salue en partant.

Source: Pages 9, 10 et 11 du livre de Claire Oppert  qui a pour titre "Le pansement Schubert" chez Denoël.

(1) Oxynorm: antalgique apparenté à la morphine indiqué dans le traitement des douleurs cancéreuses sévères

Dépression et vie spirituelle

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Tableau de Pierre Soulages (1919/2022)

Notre société serait une société dépressive. Bien des signes confirment ce sombre diagnostic: peur de l’avenir, conditions de vie stressantes, chômage et crise économique, consommation excessive de tranquillisants et d’euphorisants. A un moment de leur vie, nombre d’entre nous traversent l’épreuve de la dépression. 

 

Au-delà de ces aspects psychologiques, corporels ou sociologiques, la dépression touche cependant une dimension plus intime de la personne. Pascal évoquait en son temps le « bon usage des maladies ». Serait-il possible que s’ouvre, au creux même de la souffrance, un chemin d’espérance, une voie spirituelle? 

 

L’auteur du livre « Dépression et vie spirituelle » est Jean-François Catalan, psychologue, jésuite. Il a une longue expérience de l’accompagnement des personnes en difficulté psychologique.

 

Il a aussi publié « Expérience spirituelle et Psychologie » ainsi que « L’homme et sa religion ». Publiés chez l’éditeur « Desclée de Brouwer ».

 

 

 

Morceaux choisis de son livre 

 

« L’aube se lève. La nuit va enfin s’achever, une nuit bien pénible et bien longue! Des heures ont passé avant qu’on puisse trouver le sommeil, un sommeil fréquemment interrompu, souvent agité, parfois peuplé de cauchemars, de rêves étranges, désagréables. Au réveil, la bouche est amère, le corps ankylosé… On émerge difficilement d’un sommeil pénible et nullement reposant… L’aube se lève: encore un jour à vivre et, déjà, la conviction qu’on n’en sortira pas, que les heures, une fois de plus, passeront dans une sorte de vide! » (Pages 13/14)

 

Dans son son livre  « Dépression et vie spirituelle » (ISBN 2-220-03798-3) Jean-François Catalan cite Martin Luther King à la page 126:

 

 

« Dans notre monde actuel, comme dans la parabole évangélique, l’obscurité profonde de la nuit est troublée par un coup frappé à la porte. Le voyageur découragé demande trois pains: le pain de la foi, le pain de l’espérance, le pain de l’amour… Ayant frappé à la porte de son ami, il reçoit une parole impatiente: « Ne m’importune pas! » … Malgré sa déception, l’homme continue de frapper… Il persuade enfin son ami d’ouvrir la porte… Minuit est une heure éprouvante, où il est difficile de garder la foi! Ce qu’un chrétien peut dire de plus réconfortant c’est qu’aucune nuit ne dure longtemps, ne dure toujours! Le voyageur épuisé par la nuit et qui demande du pain en réalité désire l’aurore.  Notre message éternel d’espérance c’est que l’aurore viendra! La foi en l’aurore naît de la foi en la bonté et la justice de Dieu. Celui qui croit cela sait que les contradictions de la vie ne sont ni finales ni définitives. Il peut traverser la nuit noire avec la conviction radieuse que toutes les choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu! Même les nuits les plus privées d’étoiles peuvent annoncer l’aube de quelque grand achèvement. »

 

Gaël Giraud (1)

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Gaël Giraud est jésuite, prêtre et économiste. Lors des dernières élections présidentielles, il a proposé aux candidats douze mesures économiques à prendre. Voici la première:

Sortir l’hôpital de la marchandisation grâce au « paiement à la population”

La santé est un bien commun qui ne saurait être tarifé à l’acte

Depuis que la T2A – la tarification à l’activité – a été mise en place par Xavier Bertrand, le déficit de l’hôpital public a doublé et nos établissements hospitaliers sont entrés dans une véritable course à la rentabilité, expédiant les patients à peine soignés. Exiger la rentabilité d’un soin de santé, c’est tôt ou tard condamner les patients à la maltraitance. C’est un des éléments qui, avec la suppression de quelque 100 000 lits en 20 ans et du personnel qui va avec, a fait rétrograder notre système hospitalier de l’un des meilleurs du monde à un niveau préoccupant, malgré la dévotion héroïque du personnel soignant. Plutôt que d’applaudir nos soignants à la fenêtre, nous proposons donc le « paiement à la population », c’est-à-dire la dotation en moyens de chaque hôpital en fonction de la population desservie, en tenant compte de ses caractéristiques d’âge et d’état de santé, et du niveau de service assuré. Ainsi, c’est la qualité du soin, et non uniquement la quantité, qui sera le critère principal de financement, loin d’une logique indigne de marchandisation.

La revalorisation des rémunérations des soignants est également un préalable à toute autre évolution compte tenu des difficultés de recrutement. La France se situe au 23e rang sur 33 parmi les pays de l’OCDE pour la rémunération des infirmiers : un infirmier français est payé 42 400 dollars par an, contre 49 000 en moyenne OCDE, 50 800 au Royaume-Uni, 53 600 en Allemagne et 56 300 en Espagne. Il est donc essentiel de revaloriser par étapes les rémunérations des professionnels hospitaliers, en augmentant notamment les infirmiers de 500 euros par mois pour atteindre la moyenne de l’OCDE.

Enfin, pour lutter contre les déserts médicaux, il faudra instaurer le conventionnement sélectif pour les médecins (pas de remboursement par la sécurité sociale si les médecins s’installent dans des zones déjà trop dotées), comme c’est déjà le cas pour les infirmiers, les sages-femmes et les masseurs-kinésithérapeutes.

Source: https://gael-giraud.fr/12-mesures-pour-les-candidats-a-la-presidentielle/

Femme et rabbin (1)

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Delphine Horvilleur est née le 8 novembre 1974 à Nancy. Elle est la première femme rabbin de France. Elle fait partie de l'organisation juive libérale "Judaïsme en mouvement". Cette association a pour objectif de réunir des femmes et des hommes autour d'un judaïsme ouvert, moderne, égalitaire et accueillant. "Judaïsme en mouvement" se veut porteur des traditions juives et héritier des valeurs républicaines.
 
Voici des extraits de son livre "Vivre avec nos morts" publié aux éditions Grasset en 2021. 
 
Voici ce que nous dit l'auteur de sa fonction de rabbin: " Être rabbin, c'est vivre avec la mort: celles des autres, celles des siens.  Mais c'est surtout transmuer cette mort en leçon de vie pour ceux qui restent."
 
Les morts nous apprennent à vivre.
 

« Dans la tradition juive, mille récits racontent que la mort peut vous suivre, mais qu’il existe des moyens de l’envoyer promener, et faire en sorte qu’elle n’arrive pas à vous pister. De nombreuses légendes la mettent en scène, sous les traits d’un ange, qui visite nos maisons et se promène dans nos villes.

 Ce personnage a même un nom, Azraël, l’ange de la mort. On raconte qu’une épée à la main, il rôderait dans les parages de ceux qu’il est venu frapper. Ce ne sont que des récits superstitieux mais ils donnent lieu à des pratiques originales. Par exemple, dans de nombreuses familles juives, lorsque quelqu’un tombe malade, on lui attribue un autre prénom. Son identité  est changée, afin d’induire en erreur l’être surnaturel qui aurait eu la mauvaise de venir le chercher. Imaginez que l’ange de la mort sonne à votre porte pour réclamer la vie d’un certain Moshé, vous pourrez alors tranquillement lui répondre: « Désolé, aucun Moshé n’habite ici. Vous êtes chez Salomon. » Et l’ange, penaud, pourra s’excuser de vous avoir dérangé, faire demi-tour et s’éloigner.

 Le stratagème prête à rire, mais il énonce une vérité subtile. Le propre de l’humanité est de croire qu’elle peut garder la mort à distance, créer des barrages et des récits, manigancer pour la tenir éloignée, ou se persuader que des rites et des mots lui confèrent  ce pouvoir.

 La modernité, la médecine et ses plateaux techniques ont développé leurs propres méthodes. L’ange de la mort est , de nos jours, bel et bien tenu à distance de nos maisons, et il est invité à se présenter de préférence aux heures de fermeture au public, dans les hôpitaux, les cliniques, les EHPAD ou les services des soins palliatifs. On considère qu’il n’a plus rien à faire chez nous. De moins en moins de gens meurent à la maison, comme pour protéger les vivants d’une morbidité qui n’aurait rien à y faire. » 

Les générations d'après la seconde guerre mondiale ont vu se mettre en place un monde différent de celui de leurs parents et grands-parents. Le 19 octobre 1945 le gouvernement du Général de Gaulle crée par ordonnance la Sécurité Sociale. Au fil des ans de plus en plus de personnes pourront se soigner quelques soient leurs revenus et la gravité de leur maladie. Tous les ans la médecine, la chirurgie, la recherche médicale font des progrès. Des hôpitaux, des maisons de retraite, des EHPAD, des CHU sont construits. L'espérance de vie augmente, la mort recule. Mourir à la maison entouré de ses proches n'est plus la règle générale. Beaucoup de fins de vie se font désormais à l'hôpital. Les cancers qui se soignent mais ne se guérissent pas, les accidents de voiture, de moto, les AVC et des maladies qui laissent des malades sans conscience, sans espoir de rétablissement ont placé des personnes en fin de vie et leur entourage dans des situations de grandes détresses. Certaines personnes demandent une augmentation des centres de soins palliatifs. Certaines personnes exigent la légalisation de l'euthanasie et revendiquent "le droit de mourir dans la dignité." Mais mourir dans la dignité n'est-ce pas mourir soigné jusqu'au bout, accompagné jusqu'au bout? Entouré de personnes et de mains qui soignent et nous aident à vivre le mauvais passage de vie à trépas. L'avenir nous dira quel choix fera notre civilisation. Soins palliatifs et sédation finale ou euthanasie légalisée? 

« Les juifs affirment qu’ils ne savent pas ce qu’il y a après notre mort. Mais ils pourraient le formuler autrement: après notre mort, il y a ce que nous ne savons pas. Il y a ce qui ne nous a pas encore été révélé, ce que d’autres en feront, en diront et raconteront mieux que nous, parce que nous avons été. » 

Cet extrait du livre de Delphine Horvilleur a retenu mon attention car il me rappelle un proverbe yiddish: "L'homme fait des plans et Dieu rigole". L'homme propose, Dieu dispose. Nous sommes nombreux à vouloir diriger nos vies, croire que nous pouvons le faire; notre époque valorise beaucoup le développement personnel. Mais dans une vie combien de fois c'est nous qui décidons vraiment? Dans cette volonté de vouloir mourir dans la dignité est-ce vraiment la recherche de la dignité qui nous anime ou bien le désir de tout contrôler, maîtriser; diriger une dernière fois les autres pour faire ce que nous ne pourrons pas faire par nous-même. Que feront et diront les autres qui devront mettre fin à nos vies? Auront-ils le droit de ne pas le faire et de dire leur désaccord?

Jean-François Sadys

Sources consultées: la fiche wikipédia de Delphine Horvilleur, le site internet des éditions Grasset et la présentation de son livre, la lecture et la relecture de son livre "Vivre avec nos morts".

Autres livres du même auteur: "En tenue d'Eve: féminin, pudeur et judaïsme", "Comment les rabbins font des enfants: sexe, transmission et identité dans le judaïsme", "Des mille et une façons d'être juif ou musulman", "Réflexions sur la question antisémite", "Comprendre le monde".

 

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