Soif (2)

Rédigé par yalla castel - - 6 commentaires

"Mon père, qui ne m'exauce jamais, a des manières étranges de me manifester, comment dire, non pas sa solidarité, encore moins sa compassion, je ne vois pas d'autre mot en l'occurrence que celui-ci: son existence. Les Romains  commencent à comprendre que je n'arriverai pas vivant au Golgotha. Ce serait pour eux un échec cuisant: à quoi bon crucifier un mort? Alors ils vont chercher un type qui revient des champs, un fier-à-bras qui se trouve être un passant.

- Tu es réquisitionné. Aide ce condamné à porter sa charge.

Même s'il a reçu un ordre, cet  homme est un miracle. Il ne se pose aucune question, il voit un inconnu qui titube sous un poids trop lourd pour lui, il ne fait ni une ni deux, il m'aide.

Il m'aide!

Cela ne m'est jamais arrivé de ma vie. Je ne savais pas comment c'était. Quelqu'un m'aide. Peu importe ce qui le motive.

Je pourrais en pleurer. Parmi l'espèce abjecte qui se moque de moi et pour laquelle je me sacrifie il y a cet homme qui n'est pas venu se régaler du spectacle et qui, cela se sent, m'aide de tout son coeur.

S'il avait déboulé dans la rue par hasard et s'il m'avait vu tituber sous la croix, il aurait eu, je pense, la même réaction: sans réfléchir une seconde, il aurait couru me secourir. Il y a des gens comme ça. Ils ignorent leur propre rareté. Si on demandait à Simon de Cyrène pourquoi il se conduit de cette manière, il ne comprendrait pas la question: il ne sait pas qu'on peut agir autrement.

Mon père a créé une drôle d'espèce: soit des salauds qui ont des opinions, soit des âmes généreuses qui ne pensent pas. En l'état où je suis, je découvre que j'ai un ami en la personne de Simon: j'ai toujours aimé les costauds. Ce ne sont jamais eux qui posent problème. J'ai l'impression que ma croix ne pèse plus rien.

- Laisse-moi porter ma part, lui dis-je.

- Honnêtement, c'est plus facile si tu me laisses faire, répond-il.

Moi, je veux bien. Les Romains, ça ne leur va pas. Simon, brave type, essaie de leur expliquer son point de vue:

- C'est pas lourd, cette croix. Le condamné me gêne plus qu'autre chose.

- Le condamné doit porter sa charge, gueule un  soldat.

- Je comprends pas. Vous voulez que je l'aide, oui ou non?

- Tu nous emmerdes. Tire-toi!

Penaud, Simon me regarde comme s'il avait gaffé. Je lui souris. C'était trop beau pour être vrai.

- Merci, lui dis-je.

- Merci à toi, dit-il bizarrement.

Il a l'air tout chose.

Je n'ai pas le temps de le saleur davantage. Il faut que je continue d'avancer en traînant ce poids mort. Je constate ceci qui est imprévisible: la croix pèse moins lourd. Elle reste effroyable, mais l'épisode de Simon a changé la donne. C'est comme si mon ami avait emporté avec lui la part la plus inhumaine de ma charge.

Ce miracle, car c'est est un, ne me doit rien. Trouvez-moi un magie plus extraordinaire dans les Ecritures. Vous chercherez en vain."

Amélie Nothomb  dans "Soif" pages 74/75/76/77.

 

 

 

 

Non à une humanité inhumaine.

Rédigé par yalla castel - - Aucun commentaire

"Par la fraternité nous sommes tenus d’arracher à la misère nos frères les hommes. (...) j’espère qu’on s’arrangera toujours ( pour le faire); pourvu qu’il y ait vraiment une cité, c’est-à-dire pourvu qu’il n’y ait aucun homme qui soit banni de la cité, tenu en exil dans la misère économique, tenu dans l’exil économique. (...) Il suffit qu’un seul homme soit tenu sciemment, ou, ce qui revient au même, sciemment laissé dans la misère pour que le pacte civique tout entier soit nul ; aussi longtemps qu’il y a un homme dehors, la porte qui lui est fermée au nez ferme une cité d’injustice et de haine."

 

Charles Péguy

 

"La saloperie des autres est aussi en nous. Et je ne vois pas d'autres solutions, vraiment aucune autre solution que de rentrer en soi-même et d'extirper de son âme toute cette pourriture. Je ne crois pas que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur que nous n'ayons d'abord corrigé en nous."

Etty Hillesum

 

Avant c'était bien vu de quitter l'Allemagne de l'Est communiste. C'était bien vu de dénoncer l'inhumanité du mur de Berlin. Avant c'était bien vu de quitter le Viet-Nam communiste et de nombreux pays ont accueilli les "Boat people" sans problème.

Depuis la fin du communisme, la chute du mur de Berlin, des femmes et des hommes fuient les zones de guerre, de non-droits, de misère et cherchent à rejoindre le monde libre par tous les moyens mais ils se heurtent à une multiplication de murs et de barrières de fil de fer barbelé: à la frontière entre le Mexique et les USA, au Sud de l'Espagne, à Calais et en Hongrie. Et ne parlons pas de la multiplication des murs dans les territoires occupés par l'armée israélienne.

J'aimerais que monte de partout la même indignation contre le mauvais sort fait aujourd'hui à des femmes et des hommes qui, comme hier, cherchent tout simplement à sauver leur peau.

 

J'aimerais re-vivre dans les mois et les années à venir des manifestations de masse contre la guerre, contre toutes ces guerres qui depuis 1989 font surtout des victimes civiles. S'il y de l'argent pour faire la guerre j'aimerais qu'il y en ait aussi pour faire la paix.

 

J'aimerais croire que l'Humanité d'aujourd'hui et de demain ne sera pas, ne sera plus, inhumaine.

 

"Les infortunes d'autrui ne nous font pas comprendre qu'elles sont communes à toute l'humanité." (...) "Ce qui peut frapper l'un peut frapper tous les autres."

Sénèque

 

Ce qui doit être fait tout de suite

Rédigé par yalla castel - - 5 commentaires

À peine la journée commencée et il est déjà six heures du soir.
À peine arrivé le lundi et c'est déjà vendredi.
Et le mois est déjà fini.
Et l'année est presque écoulée.
Et déjà 40, 50 ou 60 ans de nos vies sont passés.
Et nous nous rendons compte que nous avons a perdu nos parents, des amis.
Et nous nous rendons compte qu'il est trop tard pour revenir en arrière .
Alors essayons malgré tout de profiter à fond du temps qu'il nous reste.
N'arrêtons pas de chercher à avoir des activités qui nous plaisent.
Mettons de la couleur dans notre grisaille.
Sourions aux petites choses de la vie qui mettent du baume dans nos cœurs.
Et malgré tout, il nous faut continuer de profiter avec sérénité de ce temps qui nous reste.
Essayons d'éliminer les "après" .
Je le ferai après .
Je le dirai après .
J'y penserai après .
Nous laissons tout pour plus tard comme si "après" était à nous.
Car ce que nous comprenons pas c'est que :
Après, le café se refroidit .
Après, les priorités changent .
Après, le charme est rompu .
Après, la santé passe .
Après, les enfants grandissent .
Après, les parents vieillissent .
Après, les promesses sont oubliées .
Après, le jour devient la nuit .
Après, la vie se termine .
Et après c'est souvent trop tard....
Alors ne laissons rien pour plus tard.
Car en attendant toujours à plus tard, nous pouvons perdre les meilleurs moments.
Les meilleures expériences.
Les meilleurs amis.
La meilleure famille.
Le jour est aujourd'hui.
L'instant est maintenant.
Nous ne sommes plus à l'âge où nous pouvons nous permettre de reporter à demain
Ce qui doit être fait tout de suite.

Vieillir c'est...

Rédigé par yalla castel - - Aucun commentaire

Vieillir c'est garder sa jeunesse comme un beau souvenir
C'est s'habituer à vivre un peu au ralenti
Réapprendre son corps pour pouvoir s'interdire
Ce que la veille encore on se savait permis

Vieillir ce n'est plus faire l'amour mais c'est faire la tendresse

Se dire à chaque fois lorsque l'aube se lève
Que quoi que l'on y fasse on est plus vieux d'un jour
A chaque cheveux gris se séparer d'un rêve
Et lui dire tout bas un adieu sans retour

Vieillir c'est se résigner à rester sur le rivage
Espérer pour ses fils un avenir heureux
C'est vivre dans son coin sans devenir sauvage
Se laisser ignorer tout en restant près d'eux
Et c'est pouvoir enfin apprivoiser l'amour
Faire une symphonie aux accords de sagesse
C'est aimer une femme pouvoir lui faire la cour
Pour d'autres raisons que la plastique de ses fesses

Ce n'est plus dire encore c'est murmurer toujours
 
C'est sentir dans sa main une main qu'on caresse

Et trembler à l'idée qu'elle vous quittera un jour
Vivre dans un jardin où l'on peut s'attendrir
Se prendre par le cœur et lui dire je t'aime
Avouer qu'on l'a trompée mais osera-t-on lui dire
Quand on sait maintenant qu'on s'est trompé soi-même

Vieillir c'est s'inquiéter soudain du salut de son âme
Entrer dans une église sans bien savoir pourquoi
De tous les Saints Patrons devenir polygame
Et avoir des frissons en regardant la croix
C'est ignorer la fin d'un sketch qu'on a écrit
Vouloir rejouer encore devant ses spectateurs

En cherchant une réplique ou bien un mot d'esprit
Tout en sachant très bien qu'on en n'est pas l'auteur

Vieillir c'est s'en aller un jour sans jamais faire de vagues
En une heure, un endroit qu'on ne choisira pas
Sentir un soir quelqu'un qui souffle votre flamme

Disparaître doucement parce que c'est comme ça
 
Vieillir... Vieillir...
 
Jean Marie Vivier
 
 
 

Aimer pour de vrai

Rédigé par yalla castel - - Aucun commentaire

« Aimer, c'est faire en secret ce serment : je m'engage de toutes mes forces à défendre ta liberté, à ménager autour de toi l'espace qui te sera nécessaire pour croître et fleurir ! Et même si je dois être surpris par l'évolution de l'autre, même s'il ne devient pas celui que j'attendais qu'il soit un jour, je m'engage à respecter son devenir ! C'est le défi que je relève. Que ta volonté soit faite et non la mienne ! Osons nous laisser surprendre ! N'emprisonnons pas nos proches - ni nos enfants !- dans la représentation que nous avons d'eux. Cassons les moules dans lesquels nous nous enfermons les uns les autres. Offrons-nous la confiance même de nous laisser errer, commettre des erreurs... Que savons-nous du secret de nos destinées ? En devenant garant de la liberté de celui que j'aime, je lui épargne même de devoir fuir ! Rester ensemble n'est pas, comme au cimetière, une "concession perpétuelle" - c'est une offrande à renouveler chaque jour. »

 
Christiane SINGER
 
(Christiane Singer est née à Marseille en 1943. Elle est décédée des suites d'un cancer en 2007. En 2006, lorsque son médecin lui annonce qu'il lui reste six mois à vivre, elle écrit un journal publié sous le titre "Derniers fragments d'un long voyage". Aux Editions Albin Michel)
 
 
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