Un funeste poison

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« On voit de quel funeste poison est un premier ministre à un royaume, soit par intérêt, soit par aveuglement. Quel qu’il soit, il tend avant tout et aux dépens de tout à conserver, affermir, augmenter sa puissance; par conséquent son intérêt ne peut être celui de l’Etat qu’autant qu’il peut concourir ou être compatible avec le sien particulier. Il ne peut donc chercher qu’à circonvenir son maître, à fermer tout accès à lui, pour être le seul qui lui parle et qui soit uniquement le maître de donner aux choses et aux personnes le ton et la couleur qui lui convient, et pour cela se rendre terrible et funeste à quiconque oserait dire au roi le moindre mot qui ne fût pas de la plus indifférente bagatelle. Cet intérêt de parler seul et d’être écouté seul lui est si cher et si principal qu’il n’est rien qu’il n’entreprenne et qu’il n’exécute pour s’affranchir là-dessus de toute inquiétude. L’artifice et la violence ne lui coûtent rien pour perdre quiconque lui peut causer la moindre jalousie sur un point si délicat et pour donner une si terrible leçon là-dessus que nul sans exception ni distinction n’ose s’y commettre. Par même raison, moins il est supérieur en capacité et en expérience, moins veut-il s’exposer à consulter, à se laisser remplacer par délégation de pouvoir, à choisir sous lui de bons ministres, soit pour le dedans, soit pour le dehors. Il sent que, ayant un intérêt autre que celui de l’Etat, il réfuterait mal les objections qu’ils pourraient lui faire, parce que son opposition à les admettre viendrait de cet intérêt personnel qu’il veut cacher; c’est pour cette raison, et par crainte d’être démasqué, qu’il ne veut choisir que des gens bornés et sans expérience, qu’il écarte tout mérite avec le plus grand soin, qu’il redoute les personnes d’esprit, les gens capables et d’expériences; d’où il résulte qu’un gouvernement de premier ministre ne peut être que pernicieux. »

Saint Simon (1675/1755)

« Mémoires »

Notes de lecture de l'été 2018

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Photo Jean Moulin.  https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Moulin

 

Guy Debord:

 

"Nous ne voulons plus travailler au spectacle de la fin du monde, mais à la fin du monde du spectacle."

 

“Plus vous avez une appréciation juste de vos qualités, plus vous êtes modeste. Et normalement, vous ne vous sentez pas apte à devenir chef d’état.” (Anne Guion, journal « La Vie »)

 

Guy Debord:

 

"Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ; elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique."

 

« La société du spectacle » de Guy Debord, extrait:

 

 " L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir… C’est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout."

 

“Je ne savais pas que c’était si simple de faire son devoir quand on est en danger. ”
Jean Moulin

Le livre que nous n'avons pas lu ce mois-ci.

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De Jean-Claude Guillebaud:  "Une autre vie est possible", ou  "Comment retrouver l’espérance".
Aux éditions L’Iconoclaste.

« Un monde sans espoir est irrespirable. » André Malraux

« Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres. » Lao-tseu

"J’aimerais trouver les mots, le ton, la force afin de dire pourquoi m’afflige décidément la désespérance contemporaine. Elle est un gaz toxique que nous respirons chaque jour. Et depuis longtemps. L’Europe en général et la France en particulier semblent devenues ses patries d’adoption. Elle est amplifiée, mécaniquement colportée par le barnum médiatique. Oui, mécaniquement. Par définition, le flux médiatique est un discours attristé, voire alarmé. Il s’habille en noir. Or la réalité n’est jamais aussi sombre. Elle est faite d’ombres et de lumières. Elle mêle le pire au meilleur. Partout. Toujours. À n’insister que sur les ombres, on pèche — et on ment — par omission. En toute bonne foi. Vieille question ! Cette insuffisance n’est pas facile à corriger. L’optimisme n’est plus « tendance » depuis longtemps. On lui préfère le catastrophisme déclamatoire ou la dérision revenue de tout, ce qui est la même chose. Se réfugier dans la raillerie revient à capituler en essayant de sauver la face. Après moi le déluge…

Cette culture de l’inespoir — avec ses poses et ses chichis — me semble aussi dangereuse que les idéologies volontaristes d’autrefois. Elle désigne le présent comme un répit, et l’avenir comme une menace. Elle se veut lucide, et même « raisonnable ». Qui croit encore aux lendemains qui chantent ? Pourquoi perdre son temps à rêver au futur ? Telle est la doxa (« ensemble des opinions communément admises ») du moment. Les affligés professionnels tiennent le haut du pavé et, de ce promontoire, toisent tout un chacun. Il est de bon ton de citer Arthur Schopenhauer, sa référence au « temps cyclique » et son (prétendu) pessimisme, ou encore Émile Cioran, auteur de "Sur les cimes du désespoir". L’écrivain anglais Gilbert Keith Chesterton (1874-1936) n’avait pas tort de dire qu’il existait une « Église du pessimisme ».

Ajoutons que ce renoncement au goût de l’avenir peut devenir une injonction discrètement idéologique. En dissuadant les citoyens de trop penser au futur, elle les invite à s’accommoder du présent, c’est-à-dire de l’ordre établi. Elle promeut pour ce faire quantité de formules passe-partout qui sont devenues autant de slogans conservateurs. On se souvient du "There is no alternative", « Il n’y a pas d’alternative », de Margaret Thatcher. Citons aussi l’inévitable « C’est plus compliqué que cela », qu’on oppose aux citoyens indignés par une injustice et révoltés par la prédation des virtuoses de la finance. Ou encore le « Face au chômage, on a tout essayé », exclamation malheureuse de François Mitterrand en 1993. Pendant plusieurs décennies, les élus de droite et de gauche auront tenu et conforté ce que l’économiste Jean-Paul Fitoussi appelle le discours de l’impuissance. À force d’insister sur les « contraintes », il aggrava la crise de la démocratie et jeta les citoyens dans une langueur dont nous ne sommes toujours pas sortis."

 

L'intranquillité (2)

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"Le poète écrit: nous naissons comme le rocher, avec nos blessures. Y a-t-il d’autres chemins qui conduit alors à l’âge cassant? L’âge où, après avoir tenté de canaliser le tumulte de la vie brute, à grand renfort de systèmes et d’organisation – de dingues, en somme – , la part sauvage et anarchique de la vie reprend ses droits, et pousse d’autant plus fort que nous aurons cru la retenir avec autorité. Opposant à l’angoisse existentielle nos certitudes fanatiques, aux mouvements aléatoires nos fixations avides de contrôle, opposant aux balbutiements nos discours, aux danses des protocoles, à nos fièvres des remèdes, à nos pérégrinations la voix robotique des GPS, à notre vulnérabilité l’armée pathétique de toutes nos forces rassemblées. Nous cassons à la mesure même de notre rigidité, nous apprenons la fable du chêne et du roseau. La souplesse est notre seule chance, l’inclusion du tumulte, l’acceptation des limites de notre contrôle, la jachère de l’intranquillité qui offre à nos existences une parcelle désordonnée et féconde. Notre seule chance qu’il y pousse quelque chose que nous n’aurions pas imaginé. »

Marion Muller-Colard dans « L’intranquillité » chez Bayard « J’y crois », pages 13/14.

L'intranquillité (1)

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« Au berceau, déjà, l’inconfort, l’inquiétude, l’angoisse… L’intranquillité dans tous ses états. La vie, puissante, majestueuse, tranchante. La vie sans concession et sans demi-mesure. Aucun de nous n’aura fait l’expérience de naître à moité. Aucun de nous ne fera l’expérience de mourir à moitié. De bout en bout, la vie, entière et exclusive. Nous apprendrons à mettre de l’eau dans le vin, mais la vie, elle, restera tout ou rien. Nous en prendrons plein la vue, plein les poumons, plein le coeur. Car quelque chose nous saisit qui s’appelle exister – sortir de soi, être expulsé, séparé. On nous regarde, on nous dit tu, et il nous faudra une vie pour répondre je. Une vie pour admettre que nous avançons à découvert, qu’il n’y a pas d’autre peau que la sienne entre soi et le monde. »

Marion Muller-Colard, « L’intranquillité », Bayard « J’y crois », pages 12/13.

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